Il faut d’abord s’installer sur l’une des quatre estrades qui entourent la scène, ne sachant pas dans quel camp l’on sera. Un homme s’approche et nous offre une coupe de mousseux : pas de doute, nous faisons partie de la noblesse. À gauche et en face, se tiennent les spectateurs qui incarneront le tiers état, et à droite le clergé. Tout ira alors très vite, dans un tourbillon de prises de parole et d’invectives, le comédien Maxime Pambet incarne tour à tour une dizaine de personnages, qui joueront chacun un rôle déterminant dans la réponse que l’Assemblée nationale, réunis à Versailles ce soir-là, doit donner à un peuple à bout de nerfs. Car quelques semaines auparavant, il y a eu la prise de la Bastille. Cette nuit du 4 août 1789 sera en quelque sorte, l’aboutissement de cette colère paysanne.

Course contre la montre

Après Je m’en vais mais l’État demeure, fresque politique de six heures sur le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, le metteur en scène Hugues Duchêne signe là l’adaptation d’un roman de l’auteur Bertrand Guillot (L’abolition des privilèges aux éditions Les Avrils), que ce dernier lui a offert après avoir vu son précédent spectacle.

Pour résumer ces 280 pages en 1 heure 15, cette nuit interminable et forte en rebondissements où le destin de la France s’est joué, il a pris le parti d’un traitement sans fioritures, entrainant son comédien dans une formidable leçon d’histoire et dans un temps qui semble ne jamais vouloir s’arrêter, marqué par le cliquetis de la montre qui inexorablement marque les heures, les mois et les années. Façon de montrer à quel point l’histoire s’est soudainement accélérée, entrainant dans sa course, l’ordre ancien, les droits féodaux et les exemptions fiscales. S’amusant d’anecdotes cocasses, et prenant tour à tour le visage d’un député du Club Breton, futur « Club des jacobins », du président de séance qui goguenard, dans sa chaise, tente de garder un semblant d’ordre, ou d’un duc de Noailles choisi dans l’assistance, Maxime Pambet ne boude pas son plaisir.

Quant au propos, il prend un tour inattendu quand le metteur en scène fait irruption sur scène, recadrant son comédien et se lançant dans une conversation sur l’état actuel du monde : climat, patriarcat, féminisme… Les dominations et les oppressions semblent avoir résisté à l’épreuve du temps. Vertigineuse mise en abîme en juillet 2024, dans une période où la France semble une nouvelle fois avoir rendez-vous avec son destin.

L’abolition des privilèges au théâtre du Train Bleu, adaptation et mise en scène Hugues Duchêne à 15h50 du 3 au 21 juillet – relâches les 8 & 15