Les Zébrures de printemps s’achèvent aujourd’hui, avec de très belles lectures d’auteurs et autrices francophones.
Les Francophonies sont à Limoges une véritable institution : l’occasion pour toutes et tous de décentrer le regard et l’écoute, de quitter, le temps de quelques jours, la littérature hexagonale pour ce que la langue française produit hors de ses étroites frontières. Décentrer les yeux et les oreilles pour découvrir d’autres réalités, certes, mais aussi d’autres français, qui font la richesse et la diversité de cette langue en mouvement permanent.
Les Francophonies se déclinent en deux rendez-vous, l’un en automne, l’autre au printemps. Les Zébrures du printemps, comme s’appelle cette seconde session, sont consacrées principalement à des lectures, quand celles d’automne montrent au public des mises en scène plus avancées.
Les propositions de cette fin mars impressionnent toutefois par l’état d’avancement des lectures proposées. Si les pupitres rehaussés de textes ornent encore le plateau de la salle du CCM Jean Gagnant, où a lieu le festival, les acteurs et actrices les quittent volontiers des yeux pour endosser leurs personnages. Point encore de véritable scénographie, mais déjà un vrai travail de son et de lumière qui met en scène tel personnage ou telle partie des textes. Ainsi pressent-on quelques pans de la mise en scène finale.
Cette maîtrise de la mise en scène fait d’autant plus ressortir la violence des textes présentés. C’est en effet l’une des caractéristiques des Francophonies : si la qualité littéraire des textes est le premier critère de sélection, il est hors de question que ce choix ait lieu au détriment du contenu et fasse du festival de Limoges une tour d’ivoire étanche au bruit du monde. C’est tout le contraire : poétique, dramaturgie et politique avancent de concert, en trio inséparable.
Ainsi en est-il du très beau Fadhila, de l’auteur burkinabé Aristide Tarnagda, qui nous emmène auprès d’une femme dont l’époux et le fils aîné sont allés rejoindre les rangs des terroristes. Fadhila lutte alors comme elle le peut pour que son cadet reste auprès d’elle, loin de la guerre et de la violence. L’écriture d’Aristide Tarnagda fait une belle part à l’humour de Fadhila qui, avec son bon sens et son franc-parler, rend ridicules ces combattants de pacotille. Toutefois, et c’est là l’un de ses intérêts, le texte articule à ce comique des passages qui, sans verser dans le didactisme, proposent, par la bouche des différents personnages, des analyses des phénomènes conduisant au fanatisme et à la violence terroriste. Yaya Mbilé Bitang, qui incarne la mère, la joue avec une justesse qui nous fait entrer dans l’intimité des familles endeuillées et déchirées par la violence.
Du côté des Comores, c’est le texte de Soeuf Elbadawi Je suis blanc et je vous merde qui nous entraîne auprès de Gaucel, un voyageur blanc incarcéré pour avoir mangé à la table d’hommes soupçonnés de fomenter un coup d’État. Ses geôliers croient-ils vraiment à sa complicité ? Sa maîtresse, Disco, en doute, qui n’a de cesse de plaider sa cause, voyant en lui le salut qui lui permettra de quitter l’archipel. Persuadée que le Commissaire de police, avec lequel elle entretenait au préalable une liaison, use de ses fonctions pour régler ses comptes, elle oppose à son impassibilité sa verve et son humour dont la réussite tient, là aussi, pour une large part à l’interprétation de Yaya Mbilé Bitang. Si l’humour, en raison de l’importance scénique de Disco, occupe une place plus importante que dans le texte d’Aristide Tarnagda, il parvient lui aussi à rendre compte des différents problèmes politiques rencontrés par les Comorien.nes.
D’autres textes accordent une place importante à l’imaginaire et au genre du conte traditionnel. C’est le cas de La Naissance du tambour, de Dorcy Rugamba et Joshué Mugisha, qui nous raconte la naissance du tambour royal au Burundi. Un conte où les animaux, notamment la vache et le serpent, occupent une belle place et qui embarque le public dans un moment suspendu, entre percussions traditionnelles et danse contemporaine. Joshué Mugisha nous propose en effet une belle chorégraphie qui joue des trois dimensions, passe du ciel ou sol et entraîne le public dans sa danse, accompagné de deux joueurs de tambour. Un avant-goût de la forme finale, le spectacle commençant tout juste à éclore, pour une floraison prévue en 2025 sur la scène de l’Opéra de Limoges.
Les spectacles présentés aux Zébrures de printemps ont en effet vocation à grandir et à s’épanouir grâce à l’accompagnement des Francophonies, comme nous l’expliquait Hassane Kassi Kouyate (voir interview ici). Aussi le dispositif « Vers la scène », dont bénéficie La Naissance du tambour pour sa création à l’Opéra de Limoges, concerne-t-il également Je suis blanc et je vous merde et Fadhila, le premier devant connaitre sa création en automne 2024 et le second en 2025. Les lectures de cette fin mars offrent donc un premier aperçu de ces mises en scène. Se représenter leur forme finale exige ainsi du public un effort d’imagination, mais, en raison de leur état d’avancement, cet effort est léger.
Les propositions vues ce printemps, à la fois prometteuses et bien abouties, confirment plus que jamais le caractère incontournable de ce festival pour la création francophone.
Visuel Aristide Tarnagda ©Sophie Garcia