Avec La Trouée, Cécile Morelle nous invite littéralement à plonger sous la terre et à se remémorer. Un spectacle sur l’enfance et sur la parole des femmes paysannes au Festival Off d’Avignon.
C’est une plongée en terre (littéralement) dont on ne sort pas indemne. Une virée nostalgique lors de laquelle on croise des chemins boueux en pleine campagne, des papiers à mouche dans la cuisine, l’odeur du fumier et un vieil autoradio. Ce n’est jamais complaisant, ni caricatural mais c’est sans concession. C’est son histoire à elle, et aux femmes paysannes, qu’elle a rencontré lors de cette quête des origines, à la fois tendre et drôle à souhait.
Et vous ?
Qu’est-ce qui vous rappelle votre enfance ?
Pour elle, c’est le bruit de l’étable de sa grand-mère, la voix des gens du cru qu’elle est allée chercher, perche et micro à la main.
C’est aussi le bruit des talons sur le bitume. Elle n’arrive pas à s’y faire aux talons, et à la ville non plus d’ailleurs… Elle ne voit pas le ciel dans la grande ville.
Tout la ramène à son enfance, tout. Une goutte de sang, c’est le lapin déshabillé par mémé Mado. L’odeur de la terre, et c’est tout un monde qui s’ouvre à elle. Celui des « paysans », c’est bien comme cela qu’on l’appelle, non ? Le « monde paysan ».
Elle veut savoir où c’est chez elle. D’où elle vient ? A bord de sa voiture qui crache les airs de son adolescence, la voilà partie pour un voyage dans ses souvenirs, à travers les témoignages d’un monde oublié.
Car la notion de témoignage est au cœur du projet de Cécile Morelle. Celle-ci a fait une longue période d’immersion pour aller recueillir la parole des femmes dans le monde paysan. Dans la cuisine de l’une de ces fermes, lieu de toutes les confidences, on la retrouve micro à la main, entre le pépé renfrogné et la fermière qui ne quitte pas son téléphone.
Alors que le café coule et que la télé gueule, elle mélange dans son récit de vraies paroles de gens du cru avec ses propres souvenirs. Et elle évoque la fatigue de la traite du matin, l’odeur du fumier et aussi le racisme ordinaire, la « mafia » des chasseurs et le machisme des hommes. … on y est, on hume avec elle l’odeur de l’étable, et on entre dans cette mélancolie de l’enfance…une mélancolie joyeuse.
Cécile Morelle, artiste multiple, est autrice, metteuse en scène et comédienne sur cette création, qu’elle souhaite, comme tous ces autres projets, tournée vers le public avec lequel on sent qu’elle prend un malin plaisir à co-créer. Les spectateurs sont embarqués dans un monde de perceptions, grâce aux éléments sonores mais aussi aux odeurs, aux matières (la terre devient un vrai personnage de la pièce), aux images vidéos et à un imaginaire dont elle ne semble jamais à court.
Elle nous révèle des paysages magnifiques qui se transforment en plaines du far west … Des paysages que l’on croise souvent sans s’arrêter et qu’on ne verra plus jamais pareil.
Sa vision du monde rural n’est jamais caricaturale. Et son humour est communicatif. Voilà une artiste investie à tout point de vue sur le plateau, qui ne ménage aucun effet et qui joue tous les rôles, des paysannes qui participent à un groupe de parole, à la vache qui va à la traite. On ne boude pas son plaisir à la voir passer d’un état à un autre avec une fluidité incroyable… et nul doute que s’il y a du vécu dans ce que l’on voit, il y a aussi une grande dose de talent.
La Trouée, Road trip rural jusqu’au 26 Juillet au Train Bleu, à 12H50 les jours pairs, Durée 1h25, 14-20 euros.
Visuel (c) Colin Guillemant