C’est un spectacle rare qu’accueillaient ce week-end les Gémeaux : une mise en scène personnelle et passionnante d’un classique du théâtre, Une Maison de poupée, dans laquelle la marionnettiste norvégienne Yngvild Aspeli a encore une fois fait montre de sa virtuosité.
Une table en bois encadrée de chaises, un arbre de Noël et une porte ornée d’une boîte-aux-lettres : la scénographie de cette Maison de poupée, signée par François Gauthier-Lafaye, s’inscrit à première vue dans l’esthétique du théâtre bourgeois de la fin du XIXe siècle. Pourtant, nous le sentons d’emblée, quelque chose détonne : le parquet trace au sol un tiers de cercle, ses lattes aimantant nos yeux vers cet étrange point de fuite qu’est cette boîte-aux-lettres pour le moins centrale (c’est d’elle, le public le sait, que viendra le nœud de l’histoire). Surtout, les personnages qui entourent Nora sont étrangement immobiles. Terriblement immobiles. Ce sont là les marionnettes qu’Yngvild Aspeli, qui joue Nora, saisira au gré de la fable.
Pour l’heure, c’est Nora qui raconte l’histoire, alternant entre récit à l’imparfait et dialogues des différents personnages. Manipulant à vue son époux Torvald ou son amie Kristine Linde, elle déguise sa voix pour les faire parler, comme si elle nous jouait une histoire maintes fois répétée. Un jeu vocal qui n’est pas sans évoquer le Norman Bates de Hitchcock ou le Danny de Shining : les références cinématographiques, associées à une musique répétitive, participent de cette ambiance pour le moins inquiétante qui tire la pièce naturaliste vers le fantastique.
Ainsi la Nora d’Aspeli paraît-elle tout d’abord venger la Nora d’Ibsen : dès le seuil du spectacle, c’est elle qui dit, elle qui sait, elle qui manipule – au sens premier – les autres. Pourtant, et ce n’est pas là le moindre des paradoxes, elle perd de son agentivité au fil de l’action. Torvald s’émancipe pour sa part de sa simple marionnette pour apparaitre sous les traits de l’acteur Viktor Lukawski, qui prendra à son tour le contrôle de la marionnette de Nora. Point d’orgue de ce jeu de manipulation, la tarentelle où Nora perd pied, faisant progressivement corps avec une immense tarentule, symbole de l’emprise de Torvald sur son épouse.
Formidable interprétation de Une Maison de poupée, la mise en scène d’Yngvild Aspeli crée un univers visuel et sonore unique tout en donnant à voir et à entendre l’ensemble des problématiques soulevées par la pièce d’Ibsen. Un spectacle à voir absolument, qui reste longuement en tête, transforme notre approche du texte source et prouve que l’on peut faire un spectacle en costumes d’époque qui soit résolument contemporain.
Visuel : A Doll’s House Stamsund