Jusqu’au 22 décembre 2024, le théâtre de l’Odéon présente La Mouette de Tchekhov dans une nouvelle mise en scène de Stéphane Braunschweig. Après Oncle Vania en 2020, Braunschweig choisit le prisme de l’effondrement où la destruction de la nature fait écho à celle des personnages pour nous poser une question fondamentale : le bonheur est-il seulement possible dans un monde qui court à sa perte ?
La scène se passe à la campagne, au bord d’un lac. Nous sommes chez Sorine (Jean-Philippe Vidal), frère d’Arkadina (Chloé Réjon), célèbre actrice qui refuse de vieillir. Cette dernière est accompagnée par son amant, l’écrivain Trigorine (Denis Eyriey). On attend la représentation de la première pièce du fils d’Arkadina, Konstantin Gavrilovitch Treplev, dit Kostia (Jules Sagot), qui est fou amoureux de Nina (Ève Pereur), jeune interprète de la pièce. Sont également présents le docteur Dorn (Sharif Andoura) et l’instituteur Medvendenko (Jean-Baptiste Anoumon), qui est amoureux de la fille de Paulina (Lamya Regragui Muzio) et de Chamraïev (Thierry Paret), Macha (Boutaïna El Fekkak), qui aime Kostia, qui courtise Nina, qui n’a d’yeux que pour Trigorine…
Le rideau se lève enfin et Nina récite un long monologue évoquant l’extinction des espèces, la désolation et la solitude de l’être humain :
« Toutes les vies, toutes les vies, toutes les vies se sont éteintes, ayant accompli leur triste cycle… Depuis des milliers de siècles, la terre ne porte plus d’êtres vivants et cette pauvre lune allume en vain sa lanterne. (…) Tout est froid…froid…froid…froid… Tout est désert… désert… désert… J’ai peur… peur… peur… »
Pour sa dernière pièce à l’Odéon, l’ancien directeur du théâtre qui a laissé sa place à Julien Gosselin l’été dernier, nous offre ici une relecture moderne de la pièce de Tchekhov via le prisme écologique. En faisant le choix d’une scénographie inversée, mettant en exergue le décor de la pièce de Konstantin, Stéphane Braunschweig nous propose une mise en abyme apocalyptique, où l’atmosphère désenchantée de La Mouette résonne tristement avec les enjeux environnementaux actuels. Si Tchekhov expose une société en sursis, un monde désillusionné, où ses personnages aspirent à l’impossible et semblent inéluctablement rattrapés par un destin tragique, que dire du futur des jeunes générations ? Quel avenir pour les jeunes d’aujourd’hui ? La Mouette incarne-t-elle une vision prémonitoire de l’auteur ? Et quel serait alors le rôle de l’art dans un contexte nihiliste ?
Dans une mise en scène esthétique, novatrice et audacieuse, Braunschweig nous livre une réflexion existentialiste profonde et interroge la possibilité du bonheur dans un monde à l’avenir incertain. Servie par un casting impeccable, La Mouette nous plonge pendant 2h20 dans les méandres de l’âme de l’auteur, explorant les tourments de ses personnages, qui ne nous ont jamais paru aussi d’actualité.
Visuel : (c) Simon Gosselin
La Mouette,d’Anton Tchekhov.Mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig.Odéon, Théâtre de l’Europe.2h20 sans entracte.