Créée en 2020 aux Bouffes du Nord et primée par 3 Molières, La Mouche, pièce librement inspirée à Christian Hecq et Valérie Lesort par la nouvelle « Cult » de George Langelaan, reprend jusqu’au 25 février au Théâtre des Bouffes du Nord. C’est une plongée grimaçante dans les années 1960 et une farce cruelle exécutée avec maestria.
Tout semble déjà en place pour le public assis avec impatience dans les gradins des Bouffes du Nord. Et pourtant, un éclair nous rappelle que le cœur du réacteur – le laboratoire de téléportation du fils – est caché derrière un rideau métallique. Charlie, le chien, aboie… on entend la voix de Macha Béranger dans le poste et un vieux téléphone qui sonne. En mère abusive au style Deschiens, Christine Murillo occupe toute la scène et évolue autour de sa caravane aux accessoires vintage. Le rétro est populaire, dans l’univers visuel de cette Mouche qui nous fait voyager dans des années 1960, où l’on parle finalement mal le français malgré le certificat d’études : on va « au » coiffeur, on reste ravi de cancaner sur une « p’tite qui s’est faite engrosser » et on rêve d’un Saint-Trop’ « sensass’».
Christian Hecq fait son apparition, vieil adolescent au corps déjà sclérosé, inspiré d’un personnage d’une autre émission « cult » : Strip-tease. Il téléporte beaucoup de choses dans sa grande machine vintage aux deux capsules, notamment le steak que sa mère va chercher religieusement « au » boucher ; ça coûte cher mais c’est fortifiant. Quand il passe aux êtres vivants, la cruauté donne le là de la suite de la pièce… C’est alors qu’arrive une ancienne camarade d’école du fils, Valérie Lesort en poupée de cire parfaite, revenue de fiançailles ratées… Après quelques verres de Suze, on se prend à espérer, mais on se rappelle également que la nouvelle de Georges Langelaan était dédiée « à la mémoire des futures victimes de la relativité » !
Ils sont donc quatre sur scène – en incluant l’inspecteur qu’on ne vous a pas présenté pour ne pas gâcher le suspense. Jan Hammenecker remplace brillamment Stéphan Wojtowicz qui faisait partie du casting initial. Ils sont donc quatre et sont des monstres sacrés. Pendant près d’une heure, ils titubent avec un rythme millimétré et un burlesque démesuré dans chacun de leurs rôles. Il y a peut-être un cinquième personnage qui est la machine et sa voix qui rythme, elle aussi, mais elle est plus … répétitive. Ça s’étire dans une ambiance « C’est arrivé près de chez vous », ça s’engonce dans les sixties jusqu’à ce que la machine théâtrale, loin d’être répétitive, s’emballe. La scène pastiche le cinéma (avec ou sans Cronenberg) avec grâce pour saluer l’expressionnisme et nous rapprocher de Kafka, Christian Hecq est plus immense que jamais quand il défie la gravité et la « gênance », et la cruauté est implacable (avec sous sans la science-fiction). Bref, le spectacle est toujours aussi génial et le burlesque s’envole dans le ciel des insectes… À voir donc, absolument.
La Mouche, de Christian Hecq et Valérie Lesort, avec Christian Hecq, sociétaire de la Comédie-Française (Robert), Valérie Lesort (Marie-Pierre), Christine Murillo (Odette), Jan Hammenecker (Inspecteur Langelaan), 1h40.
Visuel : © Christophe Robin