« LA LETTRE », l’adresse au theâtre de Milo Rau

« C’est quand même du In »

En 2017, Milo Rau rédige, pour le NTGent dont il venait de prendre la direction, un manifeste inspiré du Dogme95 de Lars von Trier et Thomas Vinterberg. Le premier commandement dit : « Il ne s’agit plus seulement de représenter le monde, il s’agit de le changer. Le but n’est pas de représenter le réel, mais bien de rendre la représentation réelle. »
Dans cette salle posée en pleine nature, au cœur de ce joli village provençal, on ne peut pas faire plus réel. C’est le principe de l’itinérance, jouer dans des lieux qui ne sont pas faits pour recevoir des spectacles. Quand Milo Rau a pris la direction du Festival de Vienne, il a voulu partager cette idée de mobilité avec Avignon. Le projet se nomme Pièce Commune.

« Je suis devenu·e comédien·ne pour elle »

Les mort·e·s, normalement, ne parlent pas, mais au théâtre, si. Relisez Hamlet, par exemple. D’ailleurs, c’est ainsi que commençait, en 2018, La Reprise, la pièce qui a fait connaître Milo Rau au monde.
Nous rencontrons Arne De Tremerie et Olga Mouak. Derrière elle et lui, trois drapeaux, un bleu, un rouge et un blanc. Une table, trois chaises, une épée, un béret, une bouteille de champagne et une enceinte Bluetooth.
Arne nous raconte qu’un jour, sa grand-mère adorée, Nina, a découvert une lettre de sa propre mère lui annonçant qu’elle partait « pour toujours », et qu’elle n’avait pas quitté le domicile plus tôt uniquement à cause d’elle.
Lui était très proche de sa grand-mère, une star de la radio belge, qui rêvait de devenir actrice. Grâce à une intelligence artificielle, Nina est présente sur scène, sympathique fantôme.
Du côté d’Olga, l’histoire est plus sombre : elle est née à Orléans, et obsédée par Jeanne d’Arc. Sa grand-mère est morte brûlée dans son appartement.
De ces deux récits naît une vision du théâtre populaire à faire pâlir Jean Vilar de jalousie. La Lettre fait dialoguer les mort·e·s et les vivant·e·s dans une forme à la simplicité désarmante.

« C’est Isabelle Huppert ? »

Les niveaux de jeu sont époustouflants. Arne et Olga sont deux immenses acteur·rice·s, et s’amusent à multiplier les références aux différents genres de ce que représente le mot « théâtre » pour un·e spectateur·rice.
Il y a du stand-up, des interactions qui font frémir les habitué·e·s du théâtre public, des références à de grands textes qui sont incarnés en une seconde.
Lui joue enfin Treplev dans La Mouette, « de Tchekhov ! », elle joue enfin la mort de Jeanne. Il et elle se jettent dans le théâtre du corps total.
Cela arrive sans que l’on saisisse comment, mais à un moment, cette toile d’araignée dramaturgique se révèle à nous, bien tissée, superbe.
Milo Rau parvient à déployer tout son travail sur la source vraie de la tragédie sur un plateau minuscule. Cela devient alors du très grand théâtre, à la fois populaire, et extrêmement exigeant.

ملخص بالعربية :
« الرسالة » لميلو راو عمل مسرحي متنقّل ينبض بالواقعية والصدق. من خلال قصتين شخصيتين مؤثرتين، يستحضر العرض الأشباح، الذكريات، وجدّات راحلات بعبر مؤلمة. بأسلوب بسيط ولكنه ذكي، يقدم راو مسرحًا يفتح أبواب الحديث بين الأحياء والأموات، وينتقد بشكل غير مباشر الأنظمة القديمة التي لا تزال تتحكم في حياتنا الفنية.

English summary:
La Lettre, Milo Rau’s new piece, brings intimate personal stories to life through the voices of the living and the dead. Blending documentary truth with theatrical play, the show uses simple means to build a deeply moving, politically sharp, and emotionally charged performance. With ghosts, letters, and legendary heroines, La Lettre questions legacy, loss, and the lingering grip of outdated power structures.