En 2015, Penda Diouf et Anthony Thibault forment ensemble le label Jeunes Textes en Liberté. La pièce « La grande Ourse » présente cette année aux Zébrures d’automne, aura pris près de sept ans à l’autrice à être écrite.
L’histoire nous transporte dans un monde proche du nôtre : une mère va chercher son fils à l’école, et ensemble, ils mangent un bonbon sur un banc. Après être rentrés chez eux, auprès du père de la famille, un policier fait irruption dans l’appartement. Il inculpe la mère du délit suivant : elle a laissé tomber le papier du bonbon qu’elle a mangé par terre. Celle-ci se défend d’abord en accusant son fils, jusqu’à ce que le policier lui révèle qu’elle a été filmée par des caméras de sécurité publique.
Incarcérée, puis relâchée et confinée chez elle sans possibilité de sortir, nous suivons progressivement la transformation de son état mental. Elle s’intériorise, pour finalement devenir animale, se transformant en ours. De l’autre côté, son mari sombre dans l’incompréhension et la folie. Tout cela est conté par un troisième personnage, le griot, qui s’est lui-même baptisé « l’oiseau de mauvais augure », ainsi qu’un autre personnage incarnant « les mauvaises langues ». Tous deux scrutent constamment l’espace où vivent les deux protagonistes, la mère et le père, à l’affût du moindre faux pas.
Après Vent à vendre, cette pièce nous entraîne dans une réflexion curieusement proche de celle des éoliennes acadiennes : celle de l’erreur humaine. Le point de départ des deux pièces est similaire : dans la première, les habitants d’une province ne lisent pas attentivement un contrat, et dans la seconde, une mère ne fait pas attention au papier de bonbon qu’elle laisse tomber, et en paie les lourdes conséquences.
Dans ce texte poétique et cruel, Penda Diouf décrit un monde où l’on justifie l’ultra-surveillance façon Big Brother pour lutter contre la pollution des déchets. La pièce va bien plus loin, en engageant une réflexion sur la perte de proximité avec la nature dans la société actuelle. La mère, après avoir subi l’humiliation et la punition d’une société autoritaire qui ne prend plus en compte l’humain, est poussée à se reconnecter avec sa nature animale, ce qui l’aide à surmonter ses peurs. En parallèle, le griot et les mauvaises langues, images de l’opinion publique, témoignent d’un monde où le jugement et le voyeurisme sont omniprésents, dépassant les caméras et les tribunaux.
La mise en scène par Anthony Thibault est sans artifice : un plateau simple avec une scène dans la scène, représentant l’espace où évolue la mère, sous les lumières constantes des mauvaises langues. Ce choix d’une esthétique minimaliste renforce la proximité d’un sujet qui pourrait paraître magique, en le ramenant dans un contexte bien connu du public.
Cette fable d’une froide réalité est une synthèse brillante d’un conte à la fois écologique et humain.
Visuel : © Christian Péan