« La Fille qui a tout mangé et autres petits camarades »

Quatre petits camarades, quatre univers cabossés par les mots des adultes. Le petit François, qui se croit invisible (et qui l’est peut-être), Cassandre, qui voit les âmes en technicolor, Jean, l’enfant qui doute de sa lignée, et cette dévorante jeune fille qui, dans le ventre maternel, a tout avalé, jusqu’à son frère. Chacun porte une croyance comme un talisman, un superpouvoir né d’une phrase mal digérée, d’un silence trop lourd. Comment grandir quand on a construit son identité sur un malentendu ?

La scène, épurée jusqu’à l’os – des cubes noirs, une planche de bois sombre –, évoque autant une cour de récréation qu’une table de cuisine. Ici, les pères sont presque des fantômes, les mères sont presque absentes, et les enfants, des philosophes malgré eux. La mise en scène de Barbotte, à la fois visuelle et dynamique, jongle avec le grotesque et la poésie, nous rappelant que l’enfance n’est pas ce jardin insouciant que l’on croit, mais une jungle peuplée de monstres familiers.

L’enfance est le premier conte que l’on se raconte, et le dernier dont on se souvient.

Les comédiens – Caroline Borderieux, Simon Catrice, Jacob Porraz et Anna Sorin – sont excellents, incarnant avec justesse ces petits êtres à la fois touchants et effrayants. Leur jeu, précis et énergique, nous transporte dans un monde où le rire se mêle à l’inconfort, où chaque réplique sonne comme un écho de nos propres peurs d’enfant.

Et puis, « il y a ces cris toujours des cris » silencieux qui déchirent le silence, qui rappellent La Nuit des assassins de José Triana, cette façon de jouer à être grand pour ne pas mourir petit. La pièce, parfois cruelle, souvent drôle, nous secoue comme un songe dont on se réveille en sueur, avec au cœur un étrange mélange de nostalgie et de soulagement.

La fin ? Un monologue, une musique qui s’éteint trop vite – dommage, car l’on voudrait rester plus longtemps dans cet univers. Mais les lumières, elles, sont un véritable enchantement, dessinant ombres et lueurs comme autant de souvenirs égarés.

Alors, courrez-y, chers parents, chers enfants, chers êtres qui avez un jour cru aux mensonges bienveillants des grandes personnes. « La Fille qui a tout mangé » est une pépite du Off, un spectacle qui, sous ses airs de fable légère, interroge avec finesse les poids que l’on traîne dès l’enfance.

 
À voir absolument, avant que la petite fille ne vous avale, vous aussi.