Le directeur du Festival d’Avignon remet sa casquette de metteur en scène pour nous emmener en voyage, quelque part entre la Terre et Mars. Il fait tourner ce qui fait tourner le monde depuis qu’il est monde : l’impossibilité, pour les pères, de laisser leur fille quitter la maison.
Il y a un grand cercle sur lequel est posé un tronc d’arbre. Adama Diop envoie une note vocale à sa fille. Il râle, elle ne répond pas depuis plusieurs jours, il peste. À sa façon de se tenir dans son vieux costume marron, on imagine bien qu’elle, qui n’a pas encore de nom, n’est plus une enfant. Pour l’instant, il l’appelle « ma chérie, mon soleil » et exige des nouvelles. On commence à comprendre, par ses mots, que nous sommes dans un futur proche, à peine une ou deux générations au-dessus de la nôtre. Sa fille a pu connaître les dernières plages, par exemple, et a même encore pu manger du poisson.
Le décor s’actionne, il tourne, dans un geste éternel au théâtre, et nous la découvrons, elle, Alison Dechamps, toute de blanc vêtue, en tunique et pantalon. Elle lui répond et elle le rassure, en lui disant « salut papa, tout va bien », et que là où elle est, c’est « incroyable », de « la folie ». Elle n’est pas juste partie 21 jours en colonie de vacances d’été, elle a quitté la Terre, pour de bon, pour s’installer sur Mars.
Se met alors en place une discussion par vocaux entre elle et lui, à 225 millions de kilomètres de distance l’un·e de l’autre.
En 2023, le festival s’était terminé sur une représentation de By Heart, de Tiago Rodrigues, où les interprètes apprennent par cœur un sonnet de Shakespeare pour pouvoir le transmettre et le garder avec elles et eux. En interview, il nous avait dit : « J’entretiens un rapport fort avec l’émotion. ». C’est peu de le dire. Il tire un fil clair, limpide, pour nous faire chialer. La Distance fait partie de ses pièces intimes, avec Sopro, et Antoine et Cléopâtre. Ce qui l’intéresse, c’est l’humain dans ses manques, ses errances, ses tourments. Les pères et les filles n’habitent pas sur les mêmes planètes, jamais. Il en va de même pour Amina et Ali, désormais nommé·e·s.
Au fur et à mesure de leur discussion, le fossé se creuse entre elle et lui, mais cela n’entache pas leur lien.
Il va tenter de la comprendre, elle va tenter de se faire entendre.
Cet écart des générations est l’occasion pour Tiago de nous mettre face à nos impossibilités. Si elle est partie, pour réaliser un projet qui la dépasse, c’est que la Terre n’est plus habitable. Son choix est lourd de conséquences, son père a peur qu’elle ne perde la tête dans cette grande décision. Alors, il la raccroche à ses souvenirs en lui faisant écouter une chanson : Sonhos de Caetano Veloso.
Lui est un grand chanteur brésilien et les paroles de ce monument de douceur sont le fil conducteur de La Distance.
Il n’y a pas de révolte, non
Je veux juste que tu te retrouves
La nostalgie, c’est même agréable
Mieux que de marcher dans le vide
Et c’est peut-être ça, finalement, la force de La Distance, ne jamais céder au désespoir, même quand tout semble perdu. Tiago Rodrigues ne cherche ni le spectaculaire ni le grand discours pour nous raconter une inévitable séparation, où la voix, seule la voix, est un fil fragile, mais tenace. Ces deux-là gravitent autour de leur lien en se rapprochant, en s’éloignant, parfois en rêvant.
C’est beau, tendre et poétique, comme une pièce de Tiago Rodrigues.
في La Distance، يقدّم تياغو رودريغيش حوارًا صوتيًا مؤثّرًا بين أبٍ وابنته، تفصل بينهما 225 مليون كيلومتر، حيث تعيش الابنة على المريخ بعد أن أصبحت الأرض غير صالحة للسكن. من خلال هذه المسافة الرمزية والواقعية، يستكشف العرض مشاعر الفقد، والحنين، والحب غير المشروط. العمل حساس، شاعري، ويعتمد على الكلمة المنطوقة كحبل نجات يربط بين عالمين، وبين جيلين، دون اللجوء إلى البكائيات أو الخطابة الزائدة.
In La Distance, Tiago Rodrigues stages a moving voice-note exchange between a father and daughter separated by 225 million kilometers — she now lives on Mars, after Earth has become uninhabitable. Through this literal and symbolic distance, the performance explores loss, nostalgia, and unconditional love. Delicate and poetic, the piece uses voice as a fragile yet resilient thread that connects two worlds and two generations, without resorting to melodrama or grand speeches.
Le Festival d’Avignon se tient jusqu’au 26 juillet. Retrouvez tous nos articles dans le dossier de la rédaction.
Visuel : © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon