Elle nous avait cloué.e.s sur place il y a presque un an, à la même heure, dans le même lieu, Théâtre Ouvert. Il y a un an donc. Je vis dans une maison qui n’existe pas était une lecture surpuissante. Aujourd’hui, ce texte est mis en scène à la perfection par Laurène Marx et Jessica Guilloud, et le spectacle, lui, existe plus que jamais.
D’abord, il y a sa voix sans son corps qui nous dit ça : « Je m’appelle Nikki et j’habite dans une maison qui n’existe pas. » Pendant tout en temps, Laurène nous dit d’une voix basse cette histoire qui est la sienne. Elle n’est plus une enfant, elle est folle, elle le dit. Dans sa maison qui n’existe pas, un monde s’agite. Il y a Madame Monstre très présente et qui parfois a raison (oui, Laurène, « tu es trop cool ! ») , des Tout-Petits qui se cachent, et Nuage, le nuage qui cache la lumière. Nikki est très en colère, elle a perdu son calme, et pourtant, sa voix, elle, est douce et calme. Laurène Marx, apparaît. Seule en scène et cependant très habitée. Elle apparaît en bord de scène, assise en tailleur. Et elle parle d’elle, enfin, de Nikki. Et nous, nous sommes suspendu.e.s à ses lèvres rouge sang, nous avalons les mots qu’elle assène pour tenter de les connaître par cœur, tout de suite. L’écriture de Laurène est folle, c’est-à-dire qu’elle fait autant peur qu’elle fait rire. Elle est viscérale.
L’écriture de Laurène Marx est une révolution. Dans nos derniers Plans Cult de la semaine, je parlais d’elle (oui parfois, il faut s’autoriser à dire « je »), je disais que si Baudelaire existait aujourd’hui, il serait elle, cette femme trans non binaire, écorchée très vive. Sa poésie est unique autant que sa présence précise sur cette scène vide d’objets, mais pleine de sens. La lumière de Kelig Le Bars, qui va d’une barre blanche à des halos arc-en-ciel, nous fait glisser dans la schizophrénie. Laurène fait dire à Nikki : « Parfois, je prends trop de médicaments aussi. Je crois que je me dis que si j’en prends beaucoup d’un seul coup, ça va me guérir d’un seul coup… au moins me soulager du poids de ma vie… » Elle lui fait répéter que plus elle est beaucoup, plus elle est seule. Nikki entend des voix qui lui parlent, et ces voix prennent des formes, se chargent en détail. Pourquoi tout ça n’aurait-il pas le droit d’exister « réellement » comme elle dit ? Cela, tout cela, ça crée une colère sourde.
« Il y a pas longtemps je suis rentrée dans une colère je suis rentré et je
suis pas sortie depuis.
Depuis je cherche la sortie de la colère…. »
Le décalage entre la violence inouïe de ce qu’elle charrie et la douceur de la voix devient une alliance. Nikki sait qu’elle souffre de troubles dissociatifs de la personnalité. Elle sait aussi que cela fait d’elle qui elle est. Le texte, le jeu, la direction sont tous politiques et urgents. Le travail de distorsion de la voix pour rendre les habitant.e. s intérieur.e. s du cerveau de Nikki est très juste, très concret. Je vis dans une maison qui n’existe pas rappelle un fait : la normalité est une construction et pourtant ce fait est sans cesse piétiné. Laurène Marx manifeste sans hausser le ton, de sa présence totale, contre « l’immense pression que subissent les gens qui ne sont pas conformes ». Je vis dans une maison qui n’existe pas est autant une poésie, un pur monologue de théâtre, un manifeste pour que la différence arrête d’être un scandale et un partage du personnel vers l’universel.