L’auteur et metteur en scène Elemawusi Agbedjidji met au jour avec bonheur les vestiges du scandale de l’Île Tromelin, événement silencié du passé colonial français.
Quatre-vingts personnes abandonnées sur une île déserte, plus petite qu’un quartier de Paris et en proie aux tempêtes et aux cyclones : tel est le « désastre » qui fit scandale en 1761. Une précision s’impose, celle-ci expliquant sans doute cela : les personnes en question, d’origine malgache, devaient servir d’esclaves. Quand, quinze ans plus tard, la métropole française dépêcha enfin un navire pour les secourir, il ne restait plus que huit survivants.
Cet événement, historique, est le point de départ de la pièce de Elemawusi Agbedjidji, La Chute infinie des soleils. Son objet n’est toutefois pas, comme le dit l’un de ses personnages, de relater cette horreur à la manière d’un historien : il s’agit d’entrelacer réalité et fiction pour rendre sensible ce naufrage oublié.
Pour ce faire, il fait prendre en charge le récit par un personnage de thésard en anthropologie, joué par Gustave Akakpo : face à son jury, il présente lui-même un travail scientifique original, mêlant arts du spectacle et sciences humaines. Elemawusi Agbedjidji ayant lui-même suivi des études d’anthropologie, le brouillage de la frontière entre réalité et fiction concerne autant ce récit-cadre que l’histoire des naufragé.es.
Rapidement, toutefois, la lumière se tamise tandis qu’une jeune femme, incarnée par Vanessa Amaral, apparaît au fond de la scène. Elle se livre à un récit, plus qu’à une mise en action de l’histoire de son personnage, faite de violences, de traite et de viols. Outre la qualité de son texte, qui accorde une large plainte à la prière et à l’élégie, ses prises de parole sont à l’origine de très beaux moments de mise en scène, qui empruntent au théâtre d’ombres. Il est à noter également la très belle création lumière de Guillaume Tesson, qui passe avec douceur du rose au jaune et du jaune au rose.
Il faut ajouter à cela l’importance de l’humour, qui parvient, malgré un passage par le comique du bas corporel, à rester léger. Il passe ainsi par les méandres du jeu de mots, de la satire et de la simple connivence avec le public et parvient par ce seul fait à créer une véritable communion entre scène et salle. Un très beau moment théâtral.
La Chute infinie des soleils, de Elemawusi Agbedjidji. Théâtre public de Montreuil, dans le cadre de sa programmation hors-les-murs.
Visuel : La Chute infinie des soleils © Au Carré Productions