Au Théâtre de la Cité internationale, Alice Vannier et Marie Menechi s’emparent de l’histoire flamboyante de la clinique de la Borde, fleuron de la thérapie institutionnelle, toujours en activité, pour en faire du pur théâtre aux allures d’un songe d’une nuit, non pas d’été, mais de printemps.
En 1953, Jean Oury fonde la Clinique de la Borde. Nous sommes moins de dix ans après la fin de la guerre et, entre mille atrocités, la multiplication des asiles lui a été, à raison, insupportable. Dans une urgence, il quitte un hôpital où il travaillait avec ses patients et les amène là, dans ce château, le château de la Borde, à Cour-Cheverny en Sologne. Arrivent les copains. Dans la vraie vie, ils s’appellent François Tosquelles et Félix Guattari, et ils dédient toute leur vie à décloisonner les murs entre les fous et les non-fous. Mais La Brande n’est ni une pièce documentaire, ni un cours d’histoire, c’est du pur théâtre qui déclame et joue face à un public. Du pur théâtre qui s’amuse des codes éternels du théâtre en invitant sur scène un vrai rideau rouge et, surtout, en utilisant un ressort cher à Shakespeare : monter un faux spectacle dans un vrai spectacle. La Brande est de la mise en abyme de fiction, pour le dire simplement. L’histoire nous ramène essentiellement au printemps 1963, cette année où le projet pour la fête de fin d’année est de monter Comme il vous plaira. Et on comprend très vite que faire du théâtre, comme faire la cuisine ou le café, c’est exactement cela, la thérapie institutionnelle : du « quotidien ».
Alice Vannier a découvert l’histoire de ce lieu et sa pratique un peu par hasard. Elle souhaitait travailler, nous dit-elle, « sur la folie ». Nous sommes en plein confinement, elle tourne en rond et se met à lire toutes les publications sur la thérapie institutionnelle, de fil en aiguille, elle se passionne pour La Borde et y fait… « un stage ». En résulte ce spectacle où l’on découvre des personnages se nommant Hélène Chesnais (Margaux Grilleau), Jean Odin (Adrien Guiraud), Félix Guerathy (Sacha Ribeiro), Ginette Michelot (Judith Zins), dont les noms sont très largement inspirés de ceux des psychanalystes et psychothérapeutes ayant exercé à la Borde. Nous passons toute la pièce dans la cour du château. Les bâtiments sont présents, trois portes permettent d’aller à la cuisine, au réfectoire, dans les chambres. De façon limpide sans jamais glisser dans le pédagogique, Alice Vannier nous fait comprendre ce que veut dire cette pratique et ses effets géniaux sur les patients et les patientes.
Nous vivons ainsi avec Maurice le poète (Sacha Ribeiro), Michel l’anxieux (Adrien Guiraud), Blanche la sensible (Anna Bouguereau), Philippe l’obsessionnel (Simon Terrenoire), Denise l’abandonnée (Judith Zins), Émilienne la schizophrène (Margaux Grilleau). Tous et toutes ont des pathologies différentes qui provoquent des chocs et des accrocs. Les comédienn.e.s qui campent à la fois les soignant.e.s et les soigné.e.s en un changement d’état de corps, sont absolument brillant.e.s de finesse et de justesse. Jouer les fous, comment dire que c’est casse-gueule. Il faut trouver l’endroit exact qui n’est pas la plainte, pas la moquerie, pas la honte. La Brande est dans le lieu parfait, celui de la connaissance de l’autre. On entend : « On n’a pas peur des fous en les aimant. » La pièce, comme La Borde, ouvre, permet le vivre ensemble. La Brande, au-delà de ses qualités de jeu et de mise en scène, est un spectacle à voir aussi pour son urgence politique. La Borde est toujours en activité, mais elle est aujourd’hui un vestige, un camp de résistance retranché au cœur de la disparition des services psychiatriques de façon plus globale. Montrer leur utilité est essentiel.
Jusqu’au 5 février, au Théâtre de la Cité internationale.
Durée : 2h20.
Lundi, mardi 20 heures. Jeudi et vendredi 19 heures. Samedi 18 heures.
Rencontre avec Alice Vannier et l’équipe de la clinique de la Borde le samedi 27 janvier à 16 h 30.
Visuel : ©Luc Jaquin