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19.09.2024 → 07.10.2024

Kurō Tanino aux limites de l’absurde au Festival d’automne

par Amélie Blaustein-Niddam
20.09.2024

Pour la première fois, Kurō Tanino crée, à l’invitation du T2G et du Festival d’automne, une version française de son dément The Dark Master (2026). La pièce en devient une autre, très différente. Maître Obscur brille par sa forme en laissant un peu son fond la dépasser.

 

 

Un metteur en scène culte

Les spectateurices assidu.e.s du Festival d’automne ont déjà eu l’occasion de plonger dans l’univers très singulier de ce metteur en scène japonais qui manipule comme un marionnettiste l’hyperréalisme pour le rendre onirique. La dernière fois que nous avons croisé son esthétique, c’était en 2021 pour la Forteresse du sourire. Nous avions assisté à un monument de mise en scène où il mettait côte à côte deux appartements absolument identiques. Et un peu à la façon d’un split screen au cinéma, deux histoires se déroulaient de façon mitoyenne, presque sans se croiser. Mais pour nous, témoins, vues de face, ces deux vies seulement reliées par une même adresse devenaient un seul bloc. En 2018, le public découvrait The Dark Master où, au casque, un chef cuisinier se faisait remplacer par un débutant. Maître Obscur est un peu de tout cela. Nous voici de nouveau face à un décor hyperréaliste où chaque détail compte. Dans les pièces de Tanino, l’image est reine, le rythme lent. On observe toujours plus que ce que l’on comprend. C’est quasiment comme regarder un livre d’image et tourner les pages à l’envi.

« Il est temps d’aller se changer »

Nous sommes toustes équipé.e.s d’un casque, nous écoutons de fausses indications, nous participons à un faux jeu collectif. On entend une personne mâcher quelque chose, nous devons deviner, sauf que personne n’écoute nos réponses, exactement comme les tests sur les vidéos TikTok. C’est à vous seul.e que la question est en réalité posée. Et libre à vous d’y répondre dans votre tête. Le procédé amuse, il nous conditionne à accepter ce qui suit. Un très beau rideau gris s’ouvre sur un cadre aux bords ronds. On découvre un appartement vieillot, rempli de meubles. Les murs sont peints comme au crayon, dans des roses violacés et des gris. Il y a un salon composé d’un canapé, une table basse, un fauteuil, une chambre avec un lit et une table de chevet, un rocking chair, une salle à manger comprenant une table ronde, cinq chaises dont une pour bébé, des toilettes, une cuisine en Formica équipée. Partout des ampoules en forme de fleurs, au-dessus du plan de travail, des néons 60’s, et ici et là des napperons bien brodés sous les objets, le téléphone, à fil, par exemple. Dans ce décor fou, cinq personnages vont apparaître, tenter d’interagir au son des commandes que nous entendons et… c’est tout.

 

« Lentement, lentement, lentement »

Le casting est fou, Kurō Tanino réunit sur scène le graal du théâtre le plus actuel : Stéphanie Béghain, Lorry Hardel, Mathilde Invernon, Jean-Luc Verna et Gaëtan Vourc’h. Ils et elles peuvent jouer n’importe quoi et ici, ils et elles le font à merveille. Il est absolument délicieux de les voir se démener avec des ordres aussi absurdes que de suivre une recette de soupe faite à partir de légumes tombés au sol, où de les voir réagir à un suicide de coucou d’horloge (oui oui). On se marre comme à la lecture d’une bande dessinée, d’ailleurs, plus la pièce avance, plus le groupe ressemble à s’y méprendre aux héros et héroïnes de la série Scooby-Doo. Tanino utilise l’esthétique comic’s à bloc, surtout quand il s’amuse de jeux d’échelle, en asseyant, par exemple, le solide Jean-Luc Verna sur une chaise haute. Mais, malgré des images aux constructions parfaites et un bon nombre de temps passé en cuisine, la pièce nous laisse un peu sur notre faim. L’idée de manipulation de ces êtres commandés par la voix est divertissante, mais elle ne fonctionne pas sur la durée. La fin est abrupte, sans raison, quand dans ses pièces précédentes, elle était toujours fondue dans le temps. Tanino ne clôt jamais ses histoires, elles sont comme un morceau d’un cercle infini, mais là, le procédé tombe un peu à plat. Il faut rappeler que la représentation du 19 septembre était la toute première après quelques semaines de création in situ. Maître Obscur devrait gagner en épaisseur dans les prochains jours.

Du 19 septembre au 7 octobre 2024 au T2G Théâtre de Gennevilliers

Informations et réservations

Visuel : ©Jean Louis Fernandez