« Journée de noces chez les Cromagnons » , bric à brac familial de Wajdi Mouawad

La pièce écrite en 1991, bien qu’imparfaite, installe l’univers théâtral que Wajdi Wouawad va enrichir de pièces en pièces. La vie, la mort, l’amour, la famille et ses relations fluctuantes, ces questions récurrentes qui l’habitent y sont déjà posées brinquebalantes mais tangibles.  Sur le plateau, un intérieur de maison, sommaire, aux murs mal ajustés et affectés par un déséquilibre fonctionnel. On se met à quatre pattes pour entrer dans la cuisine et les portes claquent sur de l’incertain. On y entend les sons de la guerre et on y vit l’effroi des bombardements. Une famille populaire – un couple, un fils intello Jean vivant au Québec et un autre Walter absent mais présent par l’attente qu’il suscite- évolue dans ce huis clos à peine troublé par les visites de la voisine. Un repas est en préparation.  

L’art de faire famille

La noce annoncée commence mal, la salade achetée chez l’arménien sent le poisson. La mère éructe, le fils se cabre ; dans cette famille aux contentieux multiples la communication est rugueuse et le langage cru ou trivial c’est selon. On s’aime dans la violence en écho à la violence de la guerre. Seule une voie venant d’un être narcoleptique, la fille, laisse entendre la douloureuse douceur d’un manque à vivre à travers quelques mots «Quand est-ce qu’on ira manger du… », répétés sans cesse. C’est elle la mariée dont on prépare la noce. 

Les propos s‘échangent réalistes ou irrationnels autour de cette noce. D’un fiancé qui n’existe pas on fait un prince et du mouton qui ne cuit pas à cause d’une électricité intermittente un plat de choix. Des phrases fusent comme des slogans « La narcolepsie est un don de Dieu dans un pays en guerre » dit le père, vite contrebalancée par une vacherie de la mère. Dans ce bric à brac familial, la noce apparait comme le moyen de faire tenir la vie quand tout s’écroule. Et la question « qu’est ce qui sauve de l’impuissance ressentie face au désastre si ce n’est l’amour » est là toujours en suspens. Comme les artistes inventent ou créent pour résister, la préparation de la noce devient un acte symbolique et la noce un objet précieux. C’est aussi leur manière à eux d’être debout et d’exister aux yeux des autres dans l’incertitude du moment.  

Une belle distribution

Comique et tragique s’arrime l’un à l’autre dans le langage comme dans les différentes scènes (tout le monde se souvient forcément de celle du mouton). Le grotesque nous fait sourire sans pour autant réellement nous convaincre. Passé l’intérêt pour la situation, le spectacle semble s’essouffler, l’intrigue ou bien la dramaturgie manque d’ampleur. Un peu de « relief » ferait du bien, les questions traversées comme les effets de la guerre sur le rapport à la vie ou la force de la tradition dans le mécanisme de survie prendraient tout leur sens. L’aller – retour avec Jean écrivain au Québec ne donne que peu d’allant au récit, on y retrouve l’auteur bien sûr mais… Dans cette atmosphère si singulière teintée d’absurde, les comédiens libanais parlant l’arabe libanais sont très vifs, à l’aise et percutants. Le spectacle repose en partie sur leur jeu et leur engagement.