Au Théâtre de Gennevilliers dans le cadre du Festival d’automne, Jonathan Capdevielle s’attaque à la grande montagne qu’est le Caligula de Camus avec une dose de talent et de dérision monstre. À voir absolument.
Au commencement, ils et elles arrivent et se placent sur un énorme rocher tout plein de rebords pensé par Nadia Lauro. Avant même que les premières paroles nous parviennent, l’image fait le job. Cette petite société en maillot de bain dort tranquillement sous le soleil bien jaune. Normal, direz-vous, puisqu’il s’agit de l’histoire d’un empereur qui porte le nom de Caligula, ou bien César, ou bien Caius. Une bonne société bien éloignée du peuple et des esclaves.
Et puis le texte arrive. Et il est incroyable ce texte, il est d’autant plus incroyable qu’aucune ligne n’en a été modifiée, puisque les ayants droits l’interdisent.
Entre « il n’est pas encore revenu » et « je suis encore vivant », nous assistons à la naissance d’un démiurge par définition fou. Un homme qui pense être l’égal des dieux, un homme qui pense que l’impossible est possible. Tout ce texte écrit en 1944 semble avoir été écrit aujourd’hui tant notre XXIᵉ siècle a beaucoup à voir avec le XXᵉ. Les régimes totalitaires, ils sont légion, et même dans nos démocraties les tentations de plein pouvoir sont nombreuses.
L’œuvre théâtrale de Capdevielle gravite autour d’un grand thème : celui du lien entre l’artiste et son œuvre. Cette obsession avait conduit Capdevielle à créer Saga et Adishatz, deux gestes personnels uniques, blocs artistiques participant d’un grand projet d’« autobiographie théâtrale ». Ce Caligula entre totalement dans ce procédé. La pièce tire un fil précis de la première à la dernière seconde. Elle progresse dans une tension kitsch où le second degré très propre à Jonathan Capdevielle, grandiose en Caligula, est l’angle de cette version.
On y retrouve un travail intense sur la voix qui est tout le temps dissociée des corps. Le chant, la ventriloquie, les modulations de tonalité, les mots prononcés dos au public sont autant de façons de faire entendre ce totalitarisme. La musique joue également un rôle essentiel dans la descente aux enfers de cet individu. En live mais le plus souvent caché.es de nos regards, Arthur B. Gillette et Jennifer Eliz Hutt empruntent à tous les styles (il faut saluer une iconique reprise de Toto au pipeau) dans des variations folk et techno qui sont autant de paroles sans mots pour parler de cet homme qui « veut la lune ».
Si le texte est figé, la mise en scène est, elle, très libre et ultra-actuelle. Elle est queer. Caligula se trimbale en bijoux de corps, il désire ses amis et des amies. Cæsonia apparaît en costumes vraiment drag, qui se parent de lumières électriques. La troupe s’entend à merveille dans ce chaos qui met à mal la république supposée romaine.
Ce Caligula progresse dans une grande justesse jusqu’à un final qui décadre encore plus, invitant les codes de la comédie musicale.
Indéniablement vivant.
Du 28 septembre au 9 octobre
Bord plateau à l’issue de la représentation le 8 octobre
Distribution :
Jonathan Capdevielle : Caligula
Dimitri Doré : Scipion
Jonathan Drillet : Helicon
Michèle Gurtner : Caesonia
Anne Steffens : Cherea
Adrien Barazzone et Jean-Philippe Valour font les rôles des sénateurs/praticiens et divers.
Visuel ©Marc Domage