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« Jag et Johnny » : un retour au pays natal qui a du chien à Théâtre Ouvert

par Amélie Blaustein-Niddam
22.05.2024

Pour la première fois, l’immense autrice et comédienne Laurène Marx passe de l’autre côté de la scène pour diriger (avec elle), à la perfection, les mots et la diction de Jessica Guilloud.  Jag et Johnny  est une histoire de lutte des classes dont les mots vous attrapent par le bout du cœur.

« Le jour où il n’y aura plus d’enfance où retourner »

Sur le plateau nu, la lumière arrive d’un coup. On découvre Jag et Johnny. Jag, c’est le surnom de Jessica et Johnny, c’est son chien. Un vieux chien dont le cœur appuie sur sa gorge, et même si c’est putain de beau à dire – Le cœur appuie sur sa gorge – du point de vue canin cela n’a rien de cool. C’est même grave. Johnny ne va pas très bien. Et elle, Jessica-Jess-Yag, comment va-t-elle ? Elle ne va pas si mal, même si elle raconte des « trucs deep », oui, ce n’est pas si mal. L’écriture de Laurène Marx est ce que nous aimons nommer du woke-universel. Elle écrit de sa place et cela devient collectif. Ici, elle a utilisé le même procédé en l’appliquant à une autre. Ce que nous recevons, c’est donc le récit précis de la vie de Jessica Guilloud. Avec elle, nous arrivons chez elle, enfin, chez son « elle » petite fille et adolescente, chez sa mère et Thierry, le beau-père finalement solide, pour l’anniversaire de Gérard, loin bien loin de Paris. Alors, Jag, « pourquoi tu rentres ? »

 

« Elle ne dit pas ses larmes, elle pleure ses mots »

Cela arrive à quiconque quitte sa province pour la grande ville, ici ou ailleurs. Le retour est toujours un choc. « (…) Je veux dire que je parle d’une certaine manière à mes amis bourgeois, et que, quand je rentre et que je mets mon pyjama pour parler à ma grand-mère, c’est un autre langage. C’est la même langue, mais c’est un autre langage (…).» Les mots, les accents, les attitudes changent. Jag a beau être lucide sur les luttes à mener contre le capitalisme et le patriarcat, pour l’écologie et l’égalité entre les humains, elle est déconnectée. Elle passe du coq à l’âne, ou plutôt de l’escalier de chez sa mère au canapé de chez pépé et mémé, sa vraie « safe place », et au fur et à mesure, on voyage dans sa terre populaire, pauvre même, à l’aide de descriptions pleines d’images très concrètes et souvent crues.

« Il faut raconter toutes les histoires »

L’écriture et la diction sont sans cesse suspendues, comme si Laurène Marx nous tenait par un fil au bord de la rupture. Jag, avec pour seul soutien son cher Johnny qui semble lui donner toute la force du monde, délivre sans artifice ce conte réel, ce partage de la vie dans laquelle elle a grandi, ce qui lui permet de ne jamais être dupe dans le monde des bourgeois. Le parallèle entre la ville et la campagne est cruel, comme chez Édouard Louis ou Jean-Luc Lagarce : on y boit, mais pas pareil ; on est fou, mais pas pareil. La violence explose partout dans des zones où la précarité est la norme. Au bord d’un stand-up sans comédie, où l’on rit du pire tout le temps, Jag et Johnny nous emmène loin, dans une réalité rurale invisible.

Vu en représentation unique le 21 mai à Théâtre Ouvert. Tournée à suivre.

Visuel : ©Théâtre Ouvert