Théâtre

« Indestructible », l’espoir du grand soir d’Hakim Bah et Manon Worms

par Amélie Blaustein-Niddam
05.02.2025

Juste avant la Révolution, la vraie, la seule, l’unique, celle de mai et un peu après, entre les lendemains qui chantent, les espoirs de grands soirs, Hakim Bah et Manon Worms racontent la lutte des classes dans ce qu’elle a de plus pur. Mais si une chose est bien indestructible, c’est le capitalisme, alors que peut le théâtre face à un futur devenu regrets ?

« Road trip à la française »

Indestructible, c’est, dans la France des années 60, le surnom d’une voiture : la 504, l’icône des séries policières. Elle est en train de naître, et cela provoque des opportunités d’emplois super précaires, mais des emplois quand même. Avant même que la pièce commence, on devine des éléments liés à l’univers des voitures. Il y a un grand rideau qui encadre la scène dans une texture qui figure la tôle. Et au loin, avant qu’aucun·e comédien·ne ne se mette à bouger, une voix se fait entendre. C’est celle de Bakary, qui a fui le Mali et la dictature de Modibo Keïta. Lui, sent la colère monter en lui au même rythme que le racisme. C’est sur les docks de Marseille qu’il rencontre l’injustice et reprend ses combats, non plus contre le totalitarisme, mais contre le tout-pouvoir des patrons. Il faut partir, il est en danger.

Ailleurs, Cathy tombe amoureuse d’une cinéaste qui a tout d’une Monique Wittig mélangée à une Chantal Akerman. Elle, intellectuelle, rêve de lutte concrète. Il faut partir : à Paris, la révolution est bourgeoise.

« Nous, on ne peut pas fermer nos gueules »

Voici nos deux héros bien accompagnés de personnages puissants au front, à l’usine. Le décor se découvre de plus en plus. Dans sa mise en scène, Manon Worms accompagne les mots aux gestes. La chaîne et le nombre des ouvrier·ère·s sont symbolisés par des poulies que les comédien·ne·s montent et descendent en mettant et en enlevant leur bleu de travail. En une image, elle dit la folie du fordisme, rappelant même que cette doctrine a pris exemple sur le fonctionnement des abattoirs. Nous ne sommes pas si loin d’une forme de théâtre documentaire. Les images d’archives défilent et l’on voit des salariés de chez Peugeot raconter leur réveil à deux heures pour être sur le pont à quatre heures et les huit suivantes. C’est insupportable. Les patrons sont là aussi, costume et clope, suffisants à souhait.

« Les rois et les reines de France, on a fini par leur couper la tête »

Émilien Audibert, Katell Jan, Adil Laboudi, Julie Moulier, Assane Timbo, Olivier Werner délivrent le beau texte d’Hakim Bah où l’envie de grève, l’envie de mettre le feu au capitalisme, l’envie d’être libres et égaux s’entend à chaque réplique. Mais alors que la rage est partout dans les paroles, elle ne dépasse pas le quatrième mur. Ils et elles jouent parfaitement, mais au fur et à mesure, le rythme s’enlise : comme les machines de l’usine à l’arrêt, trop lent, le spectacle devient le symptôme de ce qu’il raconte. La lutte est en échec. La voiture, elle, a tenu bon, jusqu’en 2005.

La scène de fin arrive comme un cheveu sur la soupe, bien trop emphatique par rapport à l’ensemble du spectacle, elle semble déphasée. Indestructible est un bon témoignage d’une époque qui paraît malheureusement révolue. Reste tout de même un excellent jeu au plateau, particulièrement Julie Moulier, qui a sans doute la place la plus réaliste : elle qui ne veut pas quitter Paris et qui, tout de même, arrive à aligner ses combats et son mode de vie.

Jusqu’au 8 février au Théâtre de la Cité Internationale

Informations et réservations

Visuel : Photographie de répétitions© Mathilde Delahaye