« Hamlet’s Clouds » : la Biennale de Venise renoue avec l’histoire du théâtre

« Les mots sans les pensées ne vont jamais au ciel. »

La Biennale de théâtre de Venise aime nous faire voyager. Venise regorge de lieux plus beaux les uns que les autres — cela n’est pas idiot. Nous quittons donc l’Arsenale en bateau, puis en bus, pour atteindre une forêt très vivante, qui grouille de bars sympas et de cours de sport. Cela ressemble un peu au bois de Vincennes, pour vous situer. Nous voici dans le petit théâtre de Forte Marghera, à Mestre, assis·e·s en bifrontal. L’espace de scène n’est pas plus large qu’un couloir. Il est fermé de chaque côté par des écrans où le feu brûle. La pièce commence par une épitaphe. Nous apprenons qu’en 1596, William Shakespeare perd Hamnet, à l’âge de 11 ans. Cinq ans après, il perd son père, et c’est durant ce deuil infini qu’il écrit : L’histoire tragique d’Hamlet, le Prince du Danemark.

« Pense avant de parler et pèse avant d’agir. »

Nous voyons alors virevolter Antonia Cioază, Else Marie Laukvik, Jakob Nielsen, Rina Skeel, Ulrik Skeel et Julia Varley. Iels ont l’air d’être sorti·e·s de la première édition illustrée d’Hamlet. Un genre de fantôme campe la récitante, le visage peint en bleu et vêtue d’une large cape. Hamlet et Ophélie portent de grandes jupes slaves. Gertrude, les cheveux longs, et Claudius finira torse nu. Par touches, l’histoire est racontée, mais justement, elle ne compte pas. En danois, italien et anglais, les mots sont prononcés pour qu’ils soient entendus dans leur texture plus que dans leur signification. Hamlet est un jeune homme fou et vivant, jouant du violon avec envie.

« Plus le corps est faible, plus la pensée agit fortement. »

L’esthétique est, nous apprend-on, classique de cette troupe mythique. Les codes sont malaxés à tous les degrés possibles. Le théâtre de rue, le théâtre du corps à la García Lorca, la commedia dell’arte — encore et toujours en Italie —, les danses joyeuses croisent des projections vidéo superbement actuelles, où, en noir et blanc, on voit un enfant voler dans les nuages. Au fur et à mesure, on comprend que c’est nous qui sommes dans les nuages, dans un genre de rêve où les comédiens et comédiennes sont devenu·e·s des marionnettes aux allures et au phrasé très étranges, et où les pages des livres sont devenues des miroirs.

Cet Hamlet est une passionnante expérience sensible, qui permet de découvrir — pour les plus jeunes et les non-Italiens — ce monument du théâtre qui a malaxé les genres pour en faire le sien : un monde où la féerie, la démence et l’urgence de vivre se livrent au plus près du public.