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Gad Bensalem, lauréat du Prix RFI-Théâtre 2024 : « A Madagascar, le poids social du français est très fort »

par Julia Wahl
06.10.2024

L’auteur malgache a remporté le Prix RFI-Théâtre 2024, lors des Zėbrures d’automne 2024. Il évoque son parcours et sa pièce Enfant.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

 

Je m’appelle Gad Bensalem, de mon vrai nom Rakotomanga Prisca Tokiniaina. Je viens de Madagascar où j’ai un parcours finalement assez classique. Après le lycée, je vais à l’École normale supérieure d’Antananarivo, où je choisis de suivre mes études de lettres. Et c’est en faisant des études de lettres françaises que je rencontre, en 2009, la compagnie de théâtre contemporain Miangaly Théâtre, qui a déjà une trentaine d’années d’histoire à Madagascar.

 

 

Et en ce qui concerne l’écriture ?

 

J’écris depuis toujours, depuis le collège. J’écris vraiment majoritairement en malgache, c’est ma langue maternelle. C’est la langue qui m’a toujours bercé. Le geste d’écriture est venu en malgache et c’est au lycée que le français est venu un peu bousculer tout ça. Bousculer, parce que c’est la langue de l’héritage colonial, c’est la langue de l’oppression. Pour beaucoup de Malgaches encore, c’est la langue de l’ordre. Au lycée, on était obligé de parler français.

 

C’était assez dur pour moi, en tout cas, d’arriver dans cette capitale et de devoir composer avec ça. Et finalement, avec un travail aussi sur soi, un travail sur l’écriture, le français est devenu un outil d’émancipation. Mon écriture, je pense aussi, est empreinte de cette relation plus ou moins conflictuelle au départ avec le français.

 

Finalement, si je choisis de suivre des études de lettres à l’École normale supérieure par la suite, c’est aussi peut-être pour prendre le contre-pied de ça. Et se dire : est-ce que je peux composer avec cette langue qui me semble aussi lourde à porter ?

 

Votre rapport au français a donc progressivement changé au lycée. Et en même temps, le fait qu’elle vous soit imposée aurait pu au contraire provoquer chez vous un rejet fort…

 

Pour moi, c’est un chemin à prendre. Et c’est aussi l’histoire de mon pays qui est tellement dense et complexe. Il y a tellement d’enjeux. Il faut qu’on règle ces histoires-là intérieurement, individuellement et aussi collectivement, socialement, parce que le poids social du français à Madagascar, c’est très fort.

 

Ce qui m’a rassuré, mais c’est ce qui m’a permis d’aller outre ce blocage, c’est certainement l’idée qu’il faut un outil commun de discussion. Et étant donné que l’autre partie a du mal à prendre le malgache comme outil de cet échange, eh bien, moi, il faut que je fasse l’effort de comprendre ça. La deuxième chose aussi qui est intéressante, c’est que, justement, c’est une ouverture sur un monde beaucoup plus large qu’on ne le croit, parce que la francophonie du Québec n’est pas la francophonie de Haïti. Et pourtant, ce sont des ouvertures sur des histoires, sur des espaces, sur des territoires. Et ça, c’est une richesse.

 

Finalement, les Malgaches ont aussi cette faculté à prendre n’importe quelle langue et à la faire quasiment leur.

 

Dans votre texte, il y a un moment où apparaît un chant malgache. Est-ce que c’était important pour vous de faire entendre cette langue ?

 

Il me tenait à cœur et, à un moment donné, il y a des fulgurances comme ça. Je sais que ce sont des endroits que j’ai envie de travailler, pour préserver des moments malgaches dans le futur spectacle. Ce sont des indicateurs d’une sensibilité qui pourrait donner la vraie identité du texte aussi et ce sont aussi des endroits essentiels de partage.

 

Est-ce que vous pouvez nous raconter ce qui a été l’élément déclencheur, ce qui vous a intéressé dans l’intrigue que vous avez mise en place, la recherche du père disparu ?

 

L’art visuel m’a mis dessus : un grand artiste plasticien, Joël Andrianomearisoa, m’a invité dans une galerie d’art à Madagascar. C’est vraiment le porte-étendard de l’art malgache contemporain. Il a fait la Biennale de Venise, c’est vraiment quelqu’un de référence. Et il m’appelle, il me dit :  « Je suis un peu ce que tu fais, tu pourrais figurer dans ma prochaine expo. » Je dis : « Mais moi, je ne fais pas d’art visuel. Je suis comédien, des fois j’écris des pièces de théâtre, mais je ne vois pas ce que ça pourrait avoir comme lien avec ton travail. » Il m’a dit : « Écris-moi un texte, une histoire et on trouvera la manière d’exposer ça dans la galerie. » Donc, j’écris deux pages sur le personnage de Doda. Et à partir de là, j’ai pensé un peu à mon histoire personnelle sur la route nationale 44.

 

À partir de ces deux pages exposées dans cette galerie, j’ai construit cette histoire. J’ai gardé le même personnage, j’ai juste changé le titre en « Enfant » pour marquer le paradoxe : je nomme un adulte enfant, l’enfant en quête de quelque chose et l’enfant qui n’est pas complètement fini, et aussi le paradoxe de mon pays qui n’est pas complètement fini. On a du mal avec cet enfant-là, l’enfant indépendant. Qu’est-ce qu’on en fait ? Ça m’a fait réfléchir sur plein d’aspects de de mon pays.

 

Lors de la remise des prix, votre texte a été présenté à la fois comme un thriller et un road movie. Or, il y a aussi une dimension lyrique. Est-ce que vous adhérez à l’idée que votre théâtre est en partie lyrique ?

 

Oui, parce que mon théâtre est poétique. Il y a un geste d’écriture qui est de toute façon délibérément poétique, parce que je ne sais écrire que de la poésie. Je pense que la poésie peut être encore noble et forte dans sa prise de position ou dans son côté tranché. Maintenant, je prends aussi avec beaucoup de sérieux le retour du jury qui dit que c’est un road-movie, parce que c’est intéressant comme forme et ce n’est pas incompatible avec la poésie.

 

Qu’attendez-vous du Prix RFI ?

 

J’ai l’impression qu’un prix comme ça, c’est une mise en lumière incroyable. Et je ne parle pas forcément à titre personnel : il y a plein de jeunes auteurs et d’autrices de théâtre à Madagascar qui attendent que quelqu’un leur dise que c’est possible.

 

Dieudonné Niangouna et Gad Bensalem lors de la remise du Prix RFI-Théâtre

(c) Christophe Péan