Florent Siaud poursuit sa réécriture des classiques avec une adaptation collective des Faust de Goethe. De concert avec douze auteurs et actrices francophones – parmi lesquel.les Marine Bachelot Nguyen, Pauline Peyrade, Guillaume Poix ou Guy Régis Jr – , il nous propose une version contemporaine de ce mythe médiéval.
Un érudit, persuadé que sa science lui permettra de créer un homunculus, un succédané d’être humain : quoi de plus contemporain ?
Convaincu de la modernité de cet intellectuel qui pense vaincre la mort par le seul recours au progrès scientifique et assume d’usurper, en bon démiurge, la place de la nature, Florent Siaud nous propose un Docteur Faust en blouse blanche, cancérologue amoureux de sa patiente Marguerite. La suite, on la devine : il recourt, contre l’avis de sa patiente, à des expérimentations médicales interdites par le Conseil de l’Ordre. La malade ne survivant pas, il se tourne à nouveau vers la science pour créer une Marguerite artificielle, un double virtuel comme on en trouve dans les séries d’anticipation. Là encore, tout ne se passe pas exactement comme prévu, la nouvelle Marguerite aspirant à s’émanciper des algorithmes qui la dirigent.
Ce spectacle divisé en trois temps qui suivent les trois versions goethéennes du mythe de Faust (de l’Urfaust au Faust II) inscrit donc les fantasmes démiurgiques des scientifiques dans les préoccupations de notre époque. Peut-être un peu trop : la Marguerite artificielle et son désir d’émancipation diffèrent peu des séries de SF comme Black Mirror, tandis que les craintes écologiques soulevées par le texte – l’hybris humaine conduisant la terre, par le progrès technique, à un inévitable incendie planétaire – deviennent des passages attendus des œuvres contemporaines.
L’essentiel, toutefois, n’est pas là. Si le spectacle séduit, c’est avant tout par sa remarquable maîtrise de l’espace. La scénographie de Romain Fabre, compagnon de route de Florent Siaud, rend exceptionnel cet argument un rien banal. Ses espaces à première vue clos – une salle de consultation, le foyer d’un opéra ou le salon de Faust – présentent en fond de scène des fenêtres ouvertes sur une portion de monde relégué dans un ailleurs que l’on ne veut pas voir. Pour figurer ces espaces à cheval entre le « en scène » et le « hors-scène », Romain Fabre est aidé par la vidéo d’Éric Maniengui, qui fait bouger des branches d’arbres au gré du vent ou figure un incendie dont l’approche est imminente.
Outre ce jeu sur le visible et le presque invisible, le travail de l’espace crée de magnifiques tableaux dessinés en grande partie par les lumières de Nicolas Descôteaux. Sans solution apparente de continuité, le créateur lumière nous fait passer d’une lumière aux couleurs pastel à une obscurité profonde qui figure, par la magie d’un drap que l’on secoue, une mer déchaînée. L’éclairage devient ainsi un personnage à part entière qui, plus encore que Méphistophélès – dans le rôle duquel excelle Yacine Sif El Islam -, incarne un Janus formel, chaque rai de lumière se transformant en son contraire.
Le succès du spectacle tient donc moins aux situations qu’il met en scène qu’à ce travail d’inspiration picturale qui voit le mythe de Faust dépasser son personnage. Ce dont il est question, dans l’œuvre de Florent Siaud, c’est finalement moins du scientifique que de ses multiples interprétations musicales et plastiques. Les tableaux qui défilent sous nos yeux tiennent davantage de l’Urfaust et de Faust I que du second Faust. Cette esthétique de l’abondance, qui fait de Siaud et de ses acolytes des démiurges aussi fous que Faust lui-même, nous conduit dans un univers plus proche du Sturm und Drang que du classicisme de Weimar. Cela tombe bien : c’est ce déchaînement des couleurs et des passions qui, plus que les thèmes abordés, fait de Si vous voulez de la lumière une réussite.
Florent Siaud, Si vous voulez de la lumière. Faust I-II-III, Théâtre de la Cité internationale. Jusqu’au 17 octobre.
Visuel : © Nicolas Descoteaux