Forte de désormais quatre années d’expérience à Saint-Pierre d’Entremont, la compagnie le K a prévu, pour cette nouvelle édition du Festival du Moulin de l’Hydre, un programme mêlant musique et écrits de Giono. Sans compter, bien sûr, un nouvel épisode de cet écrit intime qu’est le Journal d’un autre de Simon Falguières.
Pour celleux qui l’ignoreraient encore, le Moulin de l’Hydre est un ensemble de bâtiments constitué d’un moulin à farine et d’une filature. Les ami·es de la compagnie Le K se sont cotisé voilà cinq ans pour donner vie à leur « lieu rêvé » en achetant et retapant ces espaces en ruine. Le temps faisant son œuvre, le climat normand le sien, les lieux étaient inhabitables et les murs imprégnés d’humidité. Les artistes ont donc retroussé leurs manches pour donner un éclat nouveau à cet espace pour le moins bucolique. Iels ont ainsi su créer autour d’elles et eux un réseau de villageois et villageoises solidaires, les aidant dans les huisseries, leur donnant de la nourriture. De leur côté, les nouveaux et nouvelles propriétaires dispensent depuis lors des ateliers dans les écoles locales.
Certes, si tout n’est plus à refaire, beaucoup de travaux s’avèrent encore nécessaires. Mais Léandre Gans, Louis de Villers, Anastasia Kozlow ou encore Alice Delarue ont su créer un véritable espace de vie et de travail, avec une salle de répétition, des conteneurs pour entreposer les décors ou un potager chaque année plus luxuriant. Une utopie nécessaire en ces temps de terrible dystopie.
Cette édition du festival a, pour sa part, tenté de donner à voir et à entendre cette utopie en mêlant divers arts de la scène. Ainsi de la programmation, au soir du samedi, d’un concert de l’Orchestre du Nouveau Monde, orchestre, selon ses mots, « engagé pour la justice sociale et climatique en France ». Cet ensemble regroupe amateur·rices et professionnel·les et œuvre à l’accès à la musique pour toutes et tous. Au menu de cette soirée, Beethoven, of course, mais aussi Leonard Bernstein ou la compositrice oubliée Florence Price. Le choix de programmation, avec des compositions relevant de différentes inspirations musicales, révèle le souhait de créer une forme de créolisation musicale, où les traditions s’inspireraient les unes les autres.
Cette recherche de mélanges apparaît également dans la création de Clara Hédouin Le Prélude de Pan (création 2021), inspiré de la nouvelle éponyme de Giono. Le texte de l’auteur provençal, dit par deux actrices -Hatice Özer et Clara Mayer – et un acteur – Pierre Giafferi – dans des prés ornais, est entrecoupé d’interviews enregistrées de paysans contemporains, qui racontent leurs difficultés comme leurs aspirations. Le lieu du jeu, en plein air et relativement éloigné du public, modifie le rapport entre le public et les interprètes, voix et silhouettes détachant dans les espaces naturels.
Giono toujours avec Vivre, de et avec Louis de Villers, adaptation de Refus d’obéissance, réunion de plusieurs articles du Manosquin. Ce réquisitoire contre la guerre à l’écriture brillante entre en résonance avec la course au réarmement contemporaine et apparaît à ce titre éminemment nécessaire. L’interprétation de Louis de Villers, qui sait se mettre au service du texte sans tout à fait s’effacer, lui donne une grande force. Il est toutefois difficile de ne pas s’interroger sur la temporalité de la parution initiale du texte : « refuser de la faire » en 1937, est-ce vraiment le même geste qu’en 1914 ou en 1954, lorsque sortira la chanson de Vian ?
A ces préoccupations politiques angoissées répondent celles, plus intimes, de Simon Falguières. C’est en effet l’objet de son Journal d’un autre, qu’il présente comme un « journal intime théâtral ». Dans une forme brève, l’auteur du Nid de cendres y fait entendre ses relations avec ses proches dans une forme de réflexion égotiste pleine d’autodérision. Plus que les peurs et terreurs de la vie quotidienne, ses échanges avec son psy ou son addiction au tabac, c’est en effet la mise en scène de ces névroses, plus que les névroses elles-mêmes, qui est l’objet de la pièce.
En outre, le talent satirique et scénique de Simon Falguières lui permet de transformer ce qui pourrait paraitre un exercice nombriliste en une véritable farce où tout le monde en prend pour son grade, de l’artiste à la ministre en passant par les élus locaux. Dans ce Journal d’un autre, le rire est grinçant, mais le rire est partout, révélateur des absurdités de notre monde.
Festival du Moulin de l’Hydre, vendredi 5 et samedi 6 septembre 2025 au Moulin de l’Hydre à Saint-Pierre-d’Entremont (Orne).
Visuel : © Christophe Raynaud de Lage