La Cie Zumbó fait de l’exode, de ce départ forcé, subit, une ode à la vie, un poème lyrique sublimé de musique. Par-delà la quête identitaire personnelle, il s’offre à nous toute la beauté d’un pays sans frontière dont la musique serait la seule langue.
(ex)Ode de la Cie Zumbó avait fait beaucoup parler de lui en 2023 lors de son premier passage à Avignon. Il n’a rien perdu de son attrait : en fin de représentation dans Salle Tomasi 3 de la Factory le public debout cri « MERCI ! ». Il ne serait même pas nécessaire d’en dire plus, mais c’est un spectacle qui fait parler et dont on a envie de parler à tout le monde.
En 1897, Nassif a 21 ans lorsqu’il quitte Beyrouth pour l’Argentine. Son arrière-petit-fils, Matías, né à Buenos Aires, a 28 ans lorsqu’il arrive en France, en 2001. Ils ont tous les deux connu l’exode.
D’origine biblique, l’exode est l’immigration en masse d’une population. Son déplacement peut être la résultante d’une guerre, d’une crise économique ou socio-culturelle. La Cie Zumbó met des parenthèses au début du mot « exode » pour le transformer en « ode ». Un poème lyrique destiné à être accompagné de musique. Une ode à l’amour… de son prochain. Un poème musical conté par Matías Chebel qui met l’accent sur l’expression des sentiments et des émotions comme il y a un accent sur le i de son prénom et dans sa voix si envoûtante. Son chant a capella nous fait frissonner.
Sur la scène, une installation de concert, des chaises et juste la mer sur l’écran qui s’avance vers le large. Cette mer en grand format, qui attire et rejette, qui conduit et ramène, qui permet la fuite et le retour. Cette image si simple d’un plan de mer, où l’horizon est si proche et si lointain, fait de vagues successives, est d’une grande beauté, il raconte sans être ostentatoire.
Matías Chebel a fui la violence politique de son pays de naissance, l’Argentine, pour au bout de sa quête d’origines familiales être immergé dans la violence économique que connait le Liban actuellement. Pourtant, la joie demeure au milieu de ces « arrachements », une nostalgie aussi, une saudade qui est le cœur de ce spectacle si émouvant.
« Si je ne chante pas ce que je ressens, je vais mourir en dedans. » Si no canto lo que siento, me voy a morir por dentro », paroles de la chanson Barro tal vez de Luis Alberto Spinetta. Luis Alberto Spinetta a profondément marqué le monde musical argentin, une star en son pays, un des fondateurs du rock argentin. Chabel convoque des figures de proue de la musique de chaque pays tel Piazzola avec Vuelvo al sur (P.Solanas/A.Piazzola), « Vuelvo al sur, como se vuelve siempre al amor », « Je reviens au Sud, comme on revient toujours à l’amour » ou l’immense Fairouz, avec Bayti ana Baytak (Frères Rahbany) chanté en libanais et magnifiquement interprété par les musiciens Élie Maalouf et Marc Vorchin. Ce spectacle ne serait pas ce qu’il est sans eux.
Il y a la joie d’entendre les langues dans le charme qu’elles ont dans leurs prononciations, dans leur sensualité, l’écho des évocations qu’elles emmènent. Nous entendons la langue arabe, qui nous a tellement manqué dans le « in » d’Avignon. Une langue qui vibre, loin de toute contorsion cérébrale, dans sa viscéralité, sa puissance évocatrice, son identité pure.
Comme le précise Matías Chebel en fin de spectacle, il n’est nul besoin de traduction, il y a la nécessité de se fondre dans la langue et d’en saisir sa veine, sa texture avant d’approcher le sens.
N’est-ce pas ce que tout migrant ressent, étranger de langue au pays qui lui sert momentanément de lieu de vie ? Un mélange de fascination et d’incompréhension l’habite, tenu par cette soif d’accéder au sens.
La Cie Zumbo nous ramène aux origines, dans le feu de la passion pour un pays, une langue. La quête de l’histoire d’un ancêtre qui n’emmène pas où l’on croyait aller. À l’instar de Fils de batard de la CIE Maps, l’autre pièce coup de cœur du OFF 2025, le chemin n’est pas droit pour arriver à soi.
Qui cherche un père, trouve une mère, qui fait un grand écart entre l’Argentine et le Liban pour y retrouver une famille inconnue. Une branche généalogique qui a poussé dans l’ombre et est maintenant une des racines de la vie de Matias.
Sur le tabouret ouvert comme un hotel funéraire, Matias dispose les photos en noir et blanc de ses parents et dit : « Il faut du courage pour tout oublier ».
Ce spectacle de facture classique mais efficace est un beau bijou éthologique et musical. Il y a dans (ex)Ode de l’affection, de la tendresse, une humanité que l’on aimerait tant retrouver et toute la lumière de la caza du Chouf au Mont-Liban à celle de la Terre de feu argentine.
Suivez les tournées d’(ex)Ode et le travail de la compagnie Zumbó, ils font du bien et nous en avons besoin.
Du 5 au 26 juillet à 16h10, relâche les 8, 15 et 22 juillet / 1h15 / (LA) FACTORY – 3-Salle Tomasi
Le Festival d’Avignon se tient jusqu’au 26 juillet. Retrouvez tous nos articles dans le dossier de la rédaction.
Visuel : ©Sophie Vannier