Va aimer ! s’inscrit dans une trilogie dont le premier volet Vole ! interrogeait la transition vers l’âge adulte et le second T’es toi ! questionnait l’affirmation de soi. Dans ce troisième seul-en-scène, Eva Rami se tourne vers un sujet très actuel : la place de la femme dans un monde régi par les pulsions masculines. Un spectacle puissant à découvrir au Théâtre du Train Bleu pendant le Festival Off d’Avignon.
Elsa Ravi ne désire qu’une seule chose : ouvrir sa cage et prendre son envol, mais une peur profonde la clou au sol et l’empêche de franchir ces barreaux de plus en plus épais. Alors elle se tait, évitant de causer des problèmes, d’être un problème. Elle ne veut pas qu’on s’inquiète pour elle et garde tout enfoui, au plus profond de son être. Elle subit la présence de ceux qui l’entourent, de cette famille bien trop investie, de ces amis avec qui elle ne peut pas vraiment parler.
Toute la première partie du spectacle, la narratrice principale est en même temps absente, ensevelie sous la présence des autres. On a accès à peu de ses pensées, on ne la connait qu’à travers les propos de ses proches, comme si elle était incapable de s’exprimer, comme si elle n’existait pas vraiment. Autour d’elle les personnages se multiplient – mère, père, grand-mère, ami.e.s, directrice, copain,… – ils prennent ostensiblement la parole, toujours, tout le temps, et elle se réfugie dans cette tanière où elle se sent si bien, parce qu’elle y est seule et que personne ne peut l’atteindre. Mais cet effacement de soi recule peu à peu et Elsa se confie : à son thérapeute et à ce petit oiseau enfermé dans sa cage, cette lueur dans les ténèbres. Elle lui parle et on accède ainsi à ses ressentis, à ses tourments, bien trop présents.
Va aimer ! est le récit de multiples traumatismes qu’une jeune femme a gardés trop longtemps en elle, jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus, qu’elle n’en puisse plus. Elle a grandi au milieu d’hommes, avec un petit « h », qui ont broyé son intimité, qui ne l’ont pas considérée. « Je t’envahis, toi, ta tête, tes pensées. » Ces intrusions à répétition l’ont empêchée de poser ses limites, de donner son avis, à tel point qu’elle ne connaît même plus ses envies. Elle « n’arrive pas à s’exprimer de manière spontanée » jusqu’au jour où tout va être dit, où l’oiseau va sortir de son nid.
Eva Rami est partie de sa propre histoire pour écrire ce seul en scène et on sent à travers son jeu qu’elle parle de son vécu. Tout est dit avec justesse et l’inacceptable est transmis avec poésie. A travers le récit de cette vie, elle parle pour toutes ces femmes violentées, enfermées et qui se sont tues. Malgré la dureté du propos, elle arrive à transmettre un peu de légèreté, notamment à travers tout ces protagonistes qu’elle interprète, switchant de l’un à l’autre à une vitesse remarquable. On rit face à ces personnages caricaturés et seule Elsa semble être authentique, dans un monde où tout n’est qu’exagération et rejet de la vérité. On frissonne en l’écoutant et on a qu’une seule envie : être les témoins de ce procès qui n’aura jamais lieu pour aider toutes les prochaines, qu’aucune femme n’ait à se nier et à s’oublier.
Va aimer ! est un spectacle qui fait mal, mais qui soulage. Un seul en scène porté par une comédienne au talent indéniable, une femme qui a décidé de s’exprimer.
Au Théâtre du Train Bleu du 7 au 26 juillet à 17h35. Relâches les 13 et 20 juillet
Visuel : ©Valentin Perrin, Eva Rami