Gabriel Dufay réunit pour sa nouvelle création un ensemble de pièces courtes et poèmes de Jon Fosse. Il s’agit là d’une première puisque l’auteur norvégien entre ainsi la Comédie Française pour la première fois.
C’est par un texte théorique que commence le spectacle. Celui, extrait du recueil d’entretiens réunis par Gabriel Dufay dans Jon Fosse, Écrire, c’est écouter, qui explore les impensés induits par l’expression hongroise « un ange passe sur scène ». De quel ange s’agit-il ? Que nous dit cette phrase de ce que nous venons chercher au théâtre ? Par sa position liminaire, cette réflexion sur la présence de l’invisible sur scène a valeur d’un programme. C’est bien cette tension entre visible et invisible qu’exprimeront les quatre pièces qui se succéderont.
Un autre paradoxe surgira alors : la survenue de cet invisible éminemment mystique dans des situations d’une trivialité déconcertante. Un couple adultère, une femme qui retourne chez son époux, l’ascension d’une colline… Ces fables sont autant d’occasions de brasser des interrogations métaphysiques comme le poids du fatum ou le sens de la liberté. L’ordonnancement des pièces permet un crescendo qui fait de la soirée elle-même le lieu d’une véritable épiphanie. Ces très courtes pièces seront suivies de poèmes dits face public, par un ou deux acteur.rices, sur un plateau qui s’assombrit à chaque mot un peu plus.
La scénographie de Margaux Nessi joue à son tour de ce jeu du visible et de l’invisible, de la présence et de l’absence, du certain et de l’incertain. Deux déclivités partagent et réunissent en un même geste deux espaces a priori disjoints. Un simple dénivelé figure la continuité entre réel et spirituel. Un rideau translucide travaille à son tour cette apparente séparation.
Car tout l’enjeu sera de permettre la pénétration du quotidien par cette force indescriptible. La silhouette noire d’Anna Cervinka, glissant sur la pente, figure l’« ange qui passe » autant qu’une Ananke contemporaine – la majuscule est de rigueur au vu de son caractère allégorique. Des sifflements et des bruits métalliques accompagnent cette exploration, jamais achevée, de ce qui nous échappe.
Avec Étincelles, Gabriel Dufay fait toucher du doigt ce monde imperceptible. Peu importe que l’on y croie : l’espace d’une soirée, il aura existé.
Étincelles, textes de Jon Fosse, mise en scène de Gabriel Dufay. Au Studio de la Comédie Française jusqu’au 2 novembre. Les œuvres mises en scène sont les suivantes :
Texte : Quand un ange passe par la scène (1996), traduction Camilla Bouchet et Gabriel Dufay.
Pièces :
Pendant que la lumière baisse et que tout devient noir (1999), traduction Marianne Ségol et Gabriel Dufay ;
Liberté (2006), traduction Marianne Ségol et Gabriel Dufay ;
Là-bas (2006), traduction Marianne Ségol ;
Vivre dans le secret (2000), traduction Terje Sinding.
Les poèmes de Jon Fosse ont été écrits entre 1992 et 2003 et sont traduits par Camilla Bouchet et Gabriel Dufay.
Visuel : © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française