Théâtre

« Drame Bourgeois »,l’élégante danse des mots de Padrig Vion

par Hanna Kay
16.12.2024

Deux acteurs, avec pour seul décor, des mots qui racontent l’amour, la vie, l’imaginaire et Paris. « Drame Bourgeois » expose la non-rencontre de deux âmes qui se frôlent, un soir, sur le Pont Neuf. Louis et L se regardent, mais ne se parlent pas. Pourtant, de ce rien échangé, naît le fantasme de ce qu’aurait pu être leur histoire d’amour . Eux c’est nous, nous c’est eux, on est ce couple, on s’y retrouve, on l’a été ou on aurait pu l’être. Le jeune auteur et metteur Padrig Vion étire le temps et questionne avec talent la définition « d’amoureux », grâce à ces deux vies en monologues qui s’affrontent et s’entremêlent.

Fragments parisiens de vie amoureuse

Sur la scène du Théâtre Ouvert, en ce soir d’hiver du mardi 10 décembre 2024, on écoute deux personnages et leur vie intime. Louis est musicien, L est écrivaine à la bourgeoisie parfois un peu agaçante. On tend l’oreille, un peu comme lorsqu’un couple discute au café à la table à côté. D’un air distrait, pendant le premier quart d’heure de la pièce où l’on fait connaissance avec Louis et L, on se laisse pas à pas emporter par l’intensité des mots et des répliques qui restent. « À Paris, les distances se mesurent en souvenirs », nous dit plusieurs fois l’auteur. Souvenirs racontés ou rêve éveillé ? Texte tantôt murmuré, tantôt déclamé , changements de rythme, entre folie de l’amour et beaux discours, rage de la rupture et injures, on suit les péripéties de ce non-couple qui, en s’effleurant presque sans jamais se toucher, raconte un quotidien ordinaire aux détours des rues et de références culturelles « parisianistes » raffinées et parfois énervantes aussi. « Rue de Paradis à gauche et Rue de la fidélité à droite », « Rue de Cherche-Midi à quatorze heures », c’est un jeu de perspective où les points de vue de chacun des amants se confrontent et tissent l’histoire. Dans nos têtes défilent des images cinématographiques de Truffaut, de Christophe Honoré ou Claude Sautet, sur une musique de Graeme Allwright, compositeur folk à qui le spectacle rend hommage. Pas de chichi, décor noir sobre qui laisse place à notre imagination. Les deux acteurs sont habillés « comme tout le monde », imperméable rouge pour L, blouson en cuir marron pour lui, sans réel costume ni masque. Interprétation réussie, ils captent peu à peu notre attention et deviennent de plus en plus présents tout au long de la pièce.

Un silence trop discret

L’amour en boomerang, les répliquent fusent et rebondissent, le texte danse et a du rythme mais le silence et la lenteur nous manquent, ce qui diminue la sensualité et l’intensité des sentiments transmis au spectateur. Et si les acteurs fredonnent une mélodie en fil rouge tout au long de la pièce, on aurait aimé l’écouter en interlude cette chanson de Graeme Allwright.

Paradoxalement, à la fin, les acteurs saluent en se tenant la main pour la première fois dans toute la pièce. La fin comme une intersection entre les corps. Vont-ils se rencontrer pour de vrai une fois le spectacle fini ? Et si c’était cela une vraie rencontre, la déconstruction du fantasme d’une vie à deux imaginaire ? Les applaudissements du public sont longs et bien mérités.

Au Théâtre Ouvert du 2 au 14 décembre 2024, et on espère bientôt en tournée.

Visuel : ©TO