Théâtre

« Dialogue avec ce qui se passe » : Adrien Béal et Nicolas Doutey renouvellent l’absurde

par Julia Wahl
14.09.2025

Un an après son arrivée au Studio-Théâtre de Vitry, Adrien Béal y présente sa nouvelle création, Dialogue avec ce qui se passe, à partir d’un texte de Nicolas Doutey.

Alice a convié sa voisine Nola à venir rencontrer ses ami·es Lev et Sol autour de travaux de peinture. Le pinceau à la main, elle interrompt brusquement son geste et déclare vouloir écrire à son neveu. C’est un neveu lointain, dont elle a l’impression qu’il « flétrit ». Son expression est confuse : ses idées étaient plus claires lundi. Aussi Nola, Lev et Alice entreprennent-iels, non de « reconstituer », mais de « représenter » lundi.

Le choix du verbe n’est pas innocent : il porte en lui une réflexion sur le théâtre, mais aussi sur la dialectique du présent et du passé. « Re-présenter », c’est rendre présent ce lundi déjà passé. Mais c’est aussi, au vu des ratiocinations des trois personnages, couper sans arrêt les cheveux en quatre : peut-on véritablement éprouver avec la même intensité un sentiment lié à une situation révolue ? C’est aussi prendre le risque, à trop vouloir saisir ce passé, de voir le temps s’écouler sans même en avoir pris garde.

La tentation du microcosme intime

Derrière ces interrogations sur ce paradoxe qui veut que le présent ne soit jamais actuel pointe aussi le risque du renfermement sur soi. Alors que les personnages sont obsédé·es par leur re-présentation de ce lundi, iels passent à côté d’une tempête ou de projets immobiliers de grande ampleur. La concentration sur leurs problèmes microcosmiques leur fait oublier le macrocosme qui les entoure.

Le texte de Nicolas Doutey, qui présente donc des personnages passant à côté du présent à cause de la trop grande attention qu’ils lui portent, emprunte abondamment, dans son écriture comme dans les thèmes abordés, au Théâtre de l’Absurde. L’on croit même reconnaître, ici ou là, des allusions à La Cantatrice chauve.

Pour le porter, Adrien Béal a choisi une mise en scène relativement dépouillée. La scénographie de Daniel Jeanneteau et Lucie Gautrain joue avec la salle du Studio-Théâtre : les briques de ce dernier figurent l’enfermement mental des protagonistes, trop préoccupé·es par elleux-mêmes pour s’intéresser au monde. Quant à la direction des acteurs et actrices, elle prend pour acquis que nous sommes au théâtre et fait foin de toute vraisemblance. Dialogue avec ce qui se passe est une fable philosophe efficace sur la vanité de tout geste visant à retenir le temps.

Dialogue avec ce qui se passe, Adrien Béal et Nicolas Doutey, au Studio-Théâtre de Vitry jusqu’au 15 septembre, puis au Théâtre de la Manufacture-CDN Nancy-Lorraine du 18 au 21 novembre et au Théâtre public de Montreuil du 28 janvier au 6 février.

Visuel : © Jean-Louis-Fernandez