Julia Perazzini revient au Théâtre Public de Montreuil du 6 au 23 novembre 2024 avec un nouveau seule-en-scène qui, cette fois, la lance sur les traces de son grand-père italien : Dans ton intérieur.
« On porte ton nom » : « on », c’est Julia Perazzini elle-même, et les autres membres de sa famille nucléaire, et « tu », c’est Giancarlo, ou peut-être Jean-Charles, en tout cas le géniteur de son père, l’homme que sa grand-mère aima au sortir de la Seconde Guerre mondiale, mais qui est depuis sorti du récit familial, effacé par le mutisme de son ex-compagne et l’apparente indifférence de son fils, le père de la comédienne. Comme dans sa pièce précédente, Le Souper (notre critique), Julia Perazzini nous entraîne donc à sa suite dans les recoins sombres de son histoire familiale…
Un seule-en-scène autofictionnel de plus, alors ? Dans ton intérieur n’en a pas moins des qualités qui le distinguent. L’autrice est habile, et même si elle se met ensuite en scène, elle a l’élégance de s’effacer au maximum : quand elle prend effectivement la parole à la première personne, c’est en voix off, et elle n’incarne au plateau que les autres protagonistes de la pièce, ne donnant que leur partie des dialogues, créant un effet étrange qui la constitue elle-même, à la suite de son grand-père, comme une sorte de fantôme. En outre, l’interprète est de premier ordre : tout le monde n’a pas le talent de Julia Perazzini pour incarner une galerie de plus de vingt personnages, chacun·e avec leur propre voix, leur propre vocabulaire corporel, glissant de l’un·e à l’autre avec une facilité déconcertante. Le jeu est juste. Les personnages sont habilement croqué·es, et un bon nombre d’entre elleux sont délectables. Le maniement habile de l’humour rend la proposition très plaisante à suivre.
On se demande tout de même si, au final, le récit de cette quête généalogique, qui commence avec la grand-mère et s’achève par une forme de tête-à-tête sinon avec le grand-père, du moins avec la mémoire de celui-ci, arrive à se hisser au-dessus de l’anecdote personnelle pour toucher à l’universel. Dans une certaine mesure, le choix dramaturgique d’écrire les répliques de chacune des personnes croisées le long de ce chemin d’une façon très réaliste n’y aide peut-être pas : même sublimement interprétées, elles perdent de leur force à empiler les éléments parasites, non dramaturgiquement essentiels, qui créent une disfluence verbale. Bien entendu, il est difficile de ne pas penser à sa propre famille, à ses propres racines, en suivant l’histoire de Julia, mais l’enquête prend beaucoup de détours qui peuvent escamoter l’émotion essentielle de ce face-à-face avec un fantôme.
C’est peut-être ce qu’il y a de plus intéressant dans la pièce : la manière dont elle dresse le portrait en creux d’un absent, dont elle investit peu à peu un spectre d’une consistance qu’elle remet ensuite en cause. Julia réalise que plus, elle exhume d’informations sur son grand-père, et moins elle l’aime : le fantasme serait-il finalement préférable à la vérité, comme l’avait prédit le généalogiste consulté au début de l’enquête ? Cette confrontation aux non-dits, voire aux mensonges, cette façon de s’interroger sur les images que l’on porte et qui sont la substance même de la mémoire que nous nous constituons des événements que nous n’avons pas connus, est une matière très intéressante. On aurait pu souhaiter qu’elle soit mise en avant de façon plus incisive. Telle qu’elle est, la proposition souffre en effet d’un défaut de jeunesse : sa longueur. À trop vouloir détailler le récit de son enquête, Julia Perazzini la rend à la fois lente et longue, de telle sorte que quand on entre dans la phase finale du spectacle, qui propose des images magnifiques et nous confronte à des réponses troublantes, nous sommes presque frustré·es que notre capacité d’attention ne soit plus à même de nous permettre de pleinement en profiter.
Visuel : ©Julie Masson