Jamais un festival de théâtre sans pièce de Shakespeare… ou sans Edmond Rostand ! Que peut-il rester de neuf à faire, à dire avec Cyrano de Bergerac ? Même en respectant à la lettre (une partie du) texte, pas mal de choses, si on est créatif·ve. Il en est ainsi du Collectif Bis, qui proposait CYRANO BIS au festival Chalon Dans La Rue, avec une mécanique de jeu qui introduit l’aléa, et donc une intéressante fragilité, dans l’œuvre bien connue.
Quoi qu’il en soit, on aura le droit à une partie au moins de la tirade des nez, et le public sera invité à participer. Mais, pour le reste, la secousse imprimée par le Collectif Bis à ce vénérable monument du théâtre gaulois en fait tomber un peu de la poussière. On sait les qualités du texte, la fluidité du verbe, la galerie de personnages largement mangée par Cyrano mais tout de même haute en couleur, l’humour, le sens du rythme et de l’action. On sait aussi le nationalisme de bon ton pour l’époque, la misogynie, l’éloge d’une flopée de qualités… qui ne sont que des appendices survalorisés d’une masculinité pépèrement toxique. Alors, quoi, devrait-on renoncer à jouer Cyrano de Bergerac ?
En tirant les rôles au hasard, ainsi que les actes joués en entier – les autres seront assez joliment résumés, d’où l’impossibilité d’échapper à la susdite tirade – le Collectif Bis trouve une façon très intéressante de jouer avec ce bon vieux dinosaure du théâtre qu’on adore détester. Roxane peut donc être jouée par un homme, Cyrano par une femme, la scène du baiser peut se parer d’une légère teinte d’homoérotisme, voire basculer dans un gender fuck qui la rafraîchit franchement. Voilà déjà une façon de faire sonner le texte autrement. Et, de fait, le meilleur Cyrano, pour notre tirage, aura été une meilleure Cyrano. Car, évidemment, chacun·e des comédien·nes apporte son jeu, sa couleur, sa voix, sa corporalité, et le hasard fait parfois très bien les choses… ou moins.
Cette mécanique est aussi une façon de mettre les comédien·nes en position de léger déséquilibre, et de donner à chaque représentation une tension palpable, une vivacité, une nervosité à fleur de peau. Le procédé n’est pas nouveau, mais il fonctionne parfaitement. Dimension supplémentaire, une forme de solidarité apparaît au sein de la troupe puisque ses membres ont tous·tes appris la pièce. Ainsi, au moindre trou, la·le comédien·ne embarassé·e tonne un : « Texte ! » auquel les voix de ses camarades de jeu répondent pour souffler la réplique suivante. Imparable, et, en fait, plutôt ludique et réjouissant. Pourquoi demander à l’artiste une performance de mémorisation et une précision de restitution inhumaines, puisque le groupe, collectivement, fait mieux, et le fait plus facilement ? On ajoutera enfin que dans la distribution, assez diverse, brillent quelques diamants qui tirent très efficacement le niveau d’ensemble à une très bonne hauteur générale.
Pour le reste, la mise en scène est minimaliste : les entrées et sorties sont bien réglées, le lieu semi-fermé bien exploité dans les quelques ressources qu’offre sa topographie, et mis à part cela il n’y a ni décor ni costume. Les comédien·nes revêtent des chasubles qui, par un code couleur, rappellent leur rôle, et quelques accessoires servent en outre aux tirages au sort. Tout tient probablement dans un sac à dos, et il est libératoire de réaliser qu’on peut faire du théâtre de qualité, et se produire dans de grands festivals, avec une telle économie de moyens. Voilà peut-être où la sagesse devrait nous conduire, en cette époque d’effondrement écologique : moins de matériel, pas de semi-remorques en tournée, mais des compagnies mieux dotées en moyens humains. Bravo. Pour ce qui est de proposer ce spectacle dans l’espace public, en revanche, on peine à en voir la valeur ajoutée, en dehors de l’hypothétique capacité à rencontrer de nouveaux publics : cela pourrait facilement jouer en salle sans y perdre quoi que ce soit d’essentiel…
Cyrano Bis par le Collectif Bis, avec Marion Couzinié, Claire-Marie Daveau, Lucas Delesvaux, Pierre Laloge, Théo Perrache, Zoé Poutrel, Judith Rutkowski et Mathilde Saillant.
La pièce se joue à nouveau le 30 septembre prochain à Besançon dans le cadre du Festival « Du bitume et des plumes »
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