Le silence s’installe progressivement dans la salle ; la scène est un plateau rectangulaire, où les spectateurs sont installés de chaque côté. On se regarde avec curiosité, et, peut-être, une certaine appréhension : où sont les comédien.ne.s ? D’où surgira la parole ? Dans cette salle aux murs blanchis, au coeur d’un ancien édifice religieux, la qualité du silence qui vient de tomber est remarquable.
Et puis les comédien.ne.s prennent la parole, investissant progressivement la scène. Ils parlent, oui, mais de quoi ? Leurs paroles, parfois difficiles à attraper, dessinent les contours d’un monde abîmé, peut-être apocalyptique. Ils évoquent la désertion progressive des adultes, l’abolition des frontières, la surprésence de bruits de chantiers, de machines dont ils ne connaissent pas la fonction ; la création sonore (Guillaume Saurel) appuie leurs propos, renforçant la dimension parfois anxiogène de cet univers étrangement familier dans lequel l’on se retrouve plongé.e.s. Entre deux considérations sur l’état du monde (le leur ? le nôtre ?), l’un.e des personnages se tourne alors vers moi, et demande : « T’as pas des gâteaux ? ». Car ce sont bien des enfants auxquels l’on a affaire, d’étranges enfants plein de ressources qui tentent, bon an mal an, d’inventer leur histoire, avec leur langue, qui ne peut décemment pas être celle des adultes, partis après les avoir envoyés en expédition « dans le trou blanc » ; un trou qui peut-être sera la matrice d’un autre récit, d’une invention autre du langage et de la vie.
La metteuse en scène Sandrine Roche utilise ce néologisme qui renvoie à la manière qu’ont les acteurices d’occuper l’espace de manière à la fois inventive et ludique. Au début, seuls et un peu désorientés sur le plateau, les personnages se demandent franchement que faire de l’espace, du vide, de ce fameux trou blanc dans lequel on les a propulsés. Pour qu’un récit puisse advenir, il faut sans doute disposer d’un lieu à soi ; alors, dans une frénésie réjouissante, le trio s’empare de planches en Plexiglas, de bidons, de caissons, de poutres, de lainages indéterminés… ils évoluent, courent, sautillent et tournent à travers ce décor fondamental, toujours parlant, toujours à la recherche des prémices à un récit « héroïque » qui représenterait ce qu’ils veulent et ce qu’ils sont – si bien que parfois l’on se demande s’ils réussiront un jour à commencer le récit de Jozef et Zelda, leurs alter ego fictifs. Il faudrait un Deus ex machina, ou encore une vraie « lérotte », pour que la mise en abyme – le récit dont ils seront les lérots – prenne son envol….
Jozef et Zelda ne sont pas convaincus par le récit des adultes ; le Bigbang, la Genèse, tout cela ne les remue pas. Pourtant, ces enfants croient ; ils croient en la force de l’amitié, ils croient aux dieux et en Dieu, en la possibilité de construire un récit qui leur ressemble. Cela donne lieu à quelques moments de grâce, comme quand Zelda affirme solennellement à Jozef qu’elle ne pourra pas être son amoureuse fictive, car elle en perdrait ce pour quoi elle l’aime en tant qu’ami. Si leur énergie est enfantine, leur langue est inclassable, voire iconoclaste ; leurs néologismes ont des accents dignes d’Henri Michaux ou de Rabelais, leur mauvais usage des temps du passé prête à sourire… On sent la réflexion sur la manière dont un récit peut advenir, sur l’art de faire et de dire des enfants, aussi. Néanmoins, l’on est parfois un peu laissés sur le rivage de ce déploiement romanesque qui met en scène ses propres trébuchements, au risque parfois de nous faire sentir à l’écart de ce jeu d’enfants dont nous ne faisons pas partie.
Jusqu’au 13/07
à 11h30 et 15h
à La Chartreuse
58 rue de la République Villeneuve-Lez-Avignon
Visuel : © Alexandre Nollet
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