Théâtre

« Corvidae », le remède à l’écoanxieté de Marta Cuscunà

par Amélie Blaustein-Niddam
20.06.2025

Quatre corbeaux métalliques, sur un arbre perchés, tiennent en leurs becs non pas un fromage, mais une discussion sur la viande végane. Ce n’est pas une nouvelle fable de La Fontaine, mais la dernière création, aussi puissante qu’élégante, de la marionnettiste et autrice italienne.

Les pires lendemains

Corvidae. Quand les espèces se regardent est une série télévisée écrite pour l’émission de RAI 3 La Fabbrica del Mondo de Marco Paolini et Telmo Pievani. Et voilà que cette idée se retrouve sur scène – enfin, sur scène –, dans une installation scénique éblouissante signée Paola Villani. On y voit Marta Cuscunà manœuvrer à vue les corbeaux au moyen d’un système de joysticks et de câbles de frein de vélos. On la voit surtout les faire parler, les faire nous regarder, nous, les humains, seule espèce capable de détruire son propre habitat.

Urgence vitale

Le spectacle est, on l’imagine comme l’émission de télévision, pensé en épisodes allant du plus léger au pire. On rit pas mal devant ces oiseaux d’acier aux allures de piliers de comptoir. Tout commence par une discussion assez kafkaïenne sur un burger. Est-ce de la vraie viande, est-ce même de la vraie nourriture ou bien une fabrication en 3D ? On est-ce qu’on bouffe, non ? Ces animaux cuirassés ont peur de ce qu’ils pourraient avaler. D’épisodes en épisodes, le temps passe et la température de la Terre grimpe. Dans quatre ans, elle aura dépassé le seuil critique des 1,5 degré. Et nos animaux, qui nous regardent d’en haut, englués dans nos vanités, ne peuvent pas comprendre notre inaction. On est face à une version marionnettico-fabuleuse de Don’t Look Up, où l’on écoute non pas une fiction, mais la réalité de notre monde.

Respirer

Pourtant, la pièce – si on peut la nommer ainsi – n’est pas angoissante. Au contraire, elle nous accompagne dans nos contradictions. Elle imagine un monde d’après le monde d’après. Que se passerait-il s’il faisait si chaud que, comme les tortues, notre genre fluctuerait (pour de vrai : sous 27,7 °C, l’œuf de tortue deviendra mâle, et au-dessus de 31 °C, il deviendra femelle) ? Il se passerait quoi si les hommes disparaissaient ? Est-ce que les femmes prendraient plus soin de la planète ? Pour le coup, Marta Cuscunà, Italienne, crée dans un pays dirigé par une opposante à l’écologie. Son spectacle est un projet qui dépasse l’acte de la représentation. Tout au long des épisodes, la parole de scientifiques, de disciplines dures ou humaines, comme Bruno Latour, est inscrite sur le grand écran qui pare le fond de scène. Ce faisant, elle tisse des ponts urgents entre les communautés pour que la lutte contre la fin de notre planète soit une urgence mondiale, car, comme le dit un corbeau-chef : tous terrestres !

Une pièce radicale par son geste, efficace par son propos, belle par ses images. Un grand coup de cœur.

Jusqu’au 21 juin, à 20 heures, dans le cadre du festival Chantiers d’Europe, Les Abbesses

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