A la manière d’une enquête, le scénario haletant de la pièce Comme un nageur au fond des mers, nous fait entrer dans l’esprit d’un personnage amnésique. La fantastique scénographie d’Alban Ho Van se mêle merveilleusement à la mise en scène et au texte de Bérangère Jannelle, auxquels se marient des jeux sonores et lumineux tout aussi réussis.
Devenu amnésique suite à la mort de sa femme, un documentariste sonore part à la recherche d’explications en suivant les indices légués par son « ancien Moi », nommé Günther. A la poursuite d’une élucidation rationnelle, le personnage principal, Moi, livre un récit arrangé par son esprit pour retrouver la réalité. Le spectateur se retrouve alors dans une position étrange car le flou qui entoure la vision du personnage le cerne également. Comme un nageur au fond des mers est une pièce qui se déploie, pour le spectateur, à la manière une enquête. L’incohérence de certaines situations n’est éclaircie qu’à la fin, lorsque tout prend sens.
En revêtant les habits de Günther, en fouillant dans ses archives, il revit son histoire, retombe amoureux de sa femme et comprend peu à peu sa perte. Il traverse le deuil en rejouant le mythe d’Orphée et Eurydice, plongeant dans les profondeurs abyssales de l’Enfer.
A moitié conscient, Moi comprend peu à peu, autant que le spectateur, que ses acolytes endossent plusieurs rôles. Tout se dédouble. Où se trouve la limite entre Günther et Moi ? Entre Cléo et la policière, Sophia et la commandante ? Qui sont les personnes dans l’étrange boîte vitrée, au fond de la scène, qui observent Moi quand il est seul ?
La scénographie aux allures cinématographiques d’Alban Ho Van est remarquable et vient ancrer une ambiance particulière qui intensifie l’étrangeté miroitante de la pièce. C’est sur une île de tables plantées dans l’eau que Moi se réfugie. Entouré de ses artefacts, des enregistreurs en tout genre, il recompose, écoute un ensemble de souvenirs. Représentant un espace indéfini, limitrophe, flou, l’eau est un élément central dans la scénographie. Le reflet de l’île sur le sol mouillé peut évoquer la division psychique du Moi, ajoutant à l’atmosphère une humidité étrange. Et, lorsque les personnages interviennent, pataugent les uns après les autres dans cette marre, ils viennent troubler l’eau, ils créent des ondes de choc.
Cette île mystérieuse abrite aussi des grottes, des souvenirs enfouis, et c’est quand Moi décide d’y plonger, comme un nageur au fond des mers, qu’il parvient à retrouver le chemin vers la réalité.
Jusqu’au 10 février au Théâtre Ouvert.
Texte et mise en scène Bérangère Jannelle
Avec Félix Kysyl, Emmanuelle Lafon, Leïla Muse, Elios Noël et avec la voix de Mafing Traoré
Scénographie Alban Ho Van
Costumes Isabelle Deffin
Création sonore Félix Philippe
Création lumières Léandre Garcia-Lamolla
Photographie Benjamin Géminel
Régie générale Emmanuel Humeau
Régie lumières Hervé Frichet
Régie son Vincent Dupuy
Visuels : ©Pierre Grosbois