Œuvres rares, ces deux opus de Bizet, représentés ensemble, ont réalisé un petit périple dans nos régions avant d’arriver au Théâtre du Châtelet pour quelques représentations. Entre un brin de nostalgie à l’évocation des contes de Daudet, et un franc éclat de rire devant la découverte de ce Docteur Miracle traité comme une farce, la soirée tient ses promesses de légèreté sans prétention.
C’est sous l’égide du Théâtre musical de Paris que ce programme d’hommage à Bizet à l’occasion des cent cinquante ans de sa disparition a été monté. Il s’agissait de proposer une programmation d’art lyrique accessible pour tout public avec deux œuvres : L’Arlésienne et l’intégralité de la musique de scène écrite pour la pièce d’une part, l’opéra-comique en un acte Le Docteur Miracle que Bizet avait composé pour un concours, d’autre part.
C’est bien sûr la musique de Bizet qui crée une unité puisque par ailleurs, histoire, références et, même, genres sont très différents.
L’Arlésienne (celle qu’on ne voit jamais) est à l’origine un conte d’Alphonse Daudet, publiée dans l’Évènement avant d’être partie prenante du célèbre recueil « Les lettres de mon moulin ». C’est Daudet lui-même qui en fit une pièce en quatre actes que Bizet agrémenta de nombreuses ponctuations musicales.
En réécrivant entièrement la pièce de Daudet tombée dans l’oubli, Hervé Lacombe en a fait un « Conte musical pour récitant, ensemble vocal et orchestre » très bien tourné, d’un peu plus d’une heure. L’histoire est racontée par le personnage de Balthazar, le berger (le truculent comédien Eddie Chignara) tandis que danseurs et acteurs muets la miment devant le décor très évocateur d’un drôle de moulin, que l’on doit aux ateliers de l’Opéra de Tours, ce dernier ayant d’ailleurs ouvert le bal de cette double réalisation en octobre dernier qui s’est également produite en décembre à Bordeaux et en janvier à Rouen.
La partition musicale de Bizet est intégralement (et très bien) jouée par l’orchestre de chambre de Paris sous la direction de Sora Elisabeth Lee.
Les danseurs Aurélien Bednarek (Mitifio / Frédéri) et Iris Florentiny (Rose / Vivette). Les artistes lyriques que l’on retrouvera dans leurs rôles lors de l’opéra-comique qui suit, la soprano Dima Bawab, la mezzo-soprano Héloïse Mas, le ténor Marc Mauillon et le baryton Thomas Dolié, miment leurs rôles, de même que le baryton Pierre Lebon omniprésent dans le rôle de l’innocent qu’il « joue » fort bien.
Lebon assure également la mise en scène de ce premier opus pour lequel il créée une sorte de joyeuse farandole autour de ce moulin, qui révèle bien des cachettes au cours du récit, agrémentée d’une chorégraphie très rythmée. Et on apprécie les trouvailles scéniques comme le vélo-cheval, ou les tableaux de maitres que l’on déroule à la manivelle en toiles successives comme autant de paysages.
L’orchestre est attentif au plateau et aux mouvements complexes d’entrée et de sortie des acteurs-chanteurs-danseurs-mimes, et offre une belle vision de cette intégrale musicale de Bizet que l’on découvre avec plaisir, car seuls les interludes sont connus du fait de leur utilisation dans les Suites de Bizet beaucoup plus souvent jouées. Sans oublier bien sûr le fameux « De bon matin, j’ai rencontré le train…» que beaucoup ont chanté à l’école !
Ce drame provençal est fort bien illustré par un spectacle agréable à l’œil et à l’oreille qui peut sans problème être apprécié dès l’enfance tant ces récits sont souvent familiers même aux plus jeunes. Signalons que le Théâtre du Châtelet organise une séance pour les Scolaires.
On sera plus circonspect sur le traitement de l’opéra-comique Le docteur Miracle, première œuvre lyrique de Georges Bizet qui remporta le premier prix ex-aequo avec Charles Lecocq d’un concours organisé par Jacques Offenbach en 1856.
D’une part l’ouvrage, musicalement intéressant, propose une intrigue cousue de fil blanc et non exempte de facilités dans le livret pourtant écrit par Ludovic Halevy auquel on devra plus tard le célèbre Carmen.
Comme la mise en scène prend le parti de la farce, l’ensemble ne fonctionne pas toujours très bien. Les personnages sont caricaturés et proposent des poses et des interprétations elles-mêmes exagérées – le podestat de Padoue porte un gros ventre artificiel, tout le monde est habillé en rouge vif brillant, les gestes demandés aux chanteurs sont tous outrés façon pantomime. Le public a manifestement apprécié, mais il n’est pas certain que le sel de l’opéra miniature de Bizet soit apparu dans cette omelette parfois indigeste.
Le tout est vif, rapide, enlevé, mais tout est traité de manière assez clownesque retirant tout ce que la comédie peut avoir de romantique dans cette histoire où les amoureux vont user de suffisamment de subterfuges pour tromper l’égoïsme des parents.
On admire malgré tout sans la moindre réserve au contraire, l’agilité et l’aisance des quatre chanteurs qui doivent en permanence sauter, bondir, grimper sur diverses hauteurs, escaliers, échelles, dans un décor de bric et de broc qui semble en déséquilibre permanent.
Leur engagement scénique est absolument parfait. Côté chant on apprécie le capitaine Silvio tour à tour grinçant et charmant, de Marc Mauillon et le podestat comique de Thomas Dolié. Dima Bawab possède une voix plus fluette et incarne une Laurette un rien acide tandis que Heloïse Mas se démène efficacement en Véronique saupoudrant ses dialogues savoureux de force de mouvements équivoques. Notons que la production lui ajoute un air pour faire bonne mesure !
Moins abouti que L’Arlésienne, ce deuxième spectacle nous laisse un peu sur notre faim malgré la savoureuse omelette empoisonnée la plus célèbre de l’histoire de l’opéra.
Malgré ces réserves, l’on se réjouit de la riche palette de représentations avec des distributions et des orchestres différents, généralement tous salués par la critique, qu’a permis cette production du Palazzetto Bru Zane avec le Théâtre du Châtelet, l’Opéra de Tours, l’Opéra de Rouen dans le cadre du Festival Palazzetto Bru Zane France.
Celle du Châtelet a été réalisée grâce à une coproduction entre le Théâtre du Châtelet et l’Orchestre de chambre de Paris.
Pour approfondir sa connaissance de l’ensemble des œuvres rares de Georges Bizet et la palette impressionnantes de ses compositions, rien de tel que l’excellent enregistrement de PBZ, sorti en mars dernier, sous le titre Portrait Georges Bizet qui comprend des opéras comme Djamileh, Vasco de Gama, Le Retour de Virginie, Clovis et Clotilde, mais aussi de la musique symphonique et chorale, de la musique pour piano et des mélodies.
On y retrouve avec plaisir d’excellents interprètes tels Huw Montague Rendall, Karina Gauvin, Cyrille Dubois, Mélissa Petit, Adèle Charvet, Julien Dran, Reinoud Van Mechelen, Patrick Bolleire, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Thomas Dolié, Isabelle Druet, Sahy Ratia, Philippe-Nicolas Martin, avec des formations orchestrales prestigieuses.
Un travail soigné et un ouvrage de référence.
Théâtre du Châtelet, du 26 mai au 3 juin.
Réservations : ici
Visuels : Personnel, © A. Nabo de Sousa, © Thomas Amouroux