Ce week-end au festival Wet à Tours, la compagnie Mesa feliz a présenté C’est un réflexe nerveux on n’y peut rien. Dystopie dépeignant une routine ignorante à une libération survoltée et fracassante, la pièce déborde d’un humour bien souvent réservé aux hommes.
Les deux comédiennes sont postées, yeux écarquillés et sourire crispé, autour d’une table de banquet, fruits et légumes en abondance. « Bonjour Thérèse ! », « Bonjour Palmier » : les voix nasillardes, faussement enjouées scandent la salle. C’est le début d’une routine longue et absurde : un réveil mécanique, chanson ridiculement longue, repas bien réglé, discussions accoutumées. Cette routine est malicieusement entrecoupée de bien-pensance et de politesse étouffante, condamnation implicite à se conformer.
Les deux comédiennes sont survêtues. Des costumes en longueur et costumes en largeurs à l’esthétique médiévale et contemporaine. Des silhouettes hypertrophiées, emmaillotées dans des tissus de chair, des corsets, des faux-seins en plastique, des chaussures à plateforme, une robe cloche et un chapeau très très haut. Empêtrés, ces corps déformés par la surcharge vestimentaire semblent être autant de prisons qu’elles subissent.
Tout les enferme : cette routine implacable, ces corps asphyxiés, cette maison semblant être une prison, et cette vive peur de transgresser. Chaque jour, une femme est découpée, à deux pas du château… elle l’a bien mérité. Pour ne pas finir comme cette « pute », cette « poissonnière », il faut être polie, bienveillante. Alors il y a de la compétition, du lynchage, de l’humiliation. A chaque écart, elles se punissent ou s’auto-punissent.
Leurs nuits se font de plus en plus agitées et Palmier et Thérèse se laissent aller par leurs pulsions nocturnes. L’une engloutit les réserves alimentaires, l’autre découvre crûment sa sexualité. Elles ne peuvent pas s’en empêcher, c’est un réflexe nerveux. Une transgression sans fin, réprimée chaque matin. Mais rien n’y fait, chaque nuit, cela empire.
L’humour cru et grossier, est ici réapproprié par les deux comédiennes. Ce qui pouvait être du registre masculin devient un terrain d’émancipation. La pièce déploie un comique burlesque, par des jeux de mots truculents et des références foisonnantes. Clin d’œil critique aux Demoiselles de Rochefort et à la chanson La femme découpée en morceaux de Michel Legrand. Et puis surtout une ode à celles qui font rire : l’actrice et comédienne Jacqueline Maillan à qui l’on doit la phrase « C’est un réflexe nerveux on n’y peut rien ». Les femmes s’émancipent par cette légèreté et à ce rire gras qui auparavant, ne leur appartenait pas.
Dans cette dystopie hilarante, la prise de pouvoir se fait tout en humour et en sororité. Les deux personnages à la fois clownesques et subversives, transgressent joyeusement les règles imposées, et ça fait du bien. Sur une moto imaginaire, reprenant les stéréotypes masculins, elles lancent un dernier regard intrépide. Louise Herrero et Estelle Rotier rappellent une rébellion qui passe aussi par l’art, l’humour, la fête et la joie.
Visuel : ©Julie Mitchell
Festival Wet 9e édition du 29 au 30 mars 2025.
Compagnie La Mesa Feliz
Écriture, mise en scène et interprétation Louise Herrero et Estelle Rotier
Musicien compositeur Eloi Simonet
Régisseur son et lumière Audric Reynaud et Louise Maffeis
Costumières Juliette Megevand et Maxence Rapetti-Mauss
Administration Eugénie Follea, Coté Zen
Production / diffusion Marion Detienne