À Théâtre Ouvert, Céleste Germe nous plonge de façon vertigineuse dans l’univers inquiétant et troublant de Lac Artificiel de Marine Chartrain, un pas de deux pour un corps avoir absolument jusqu’au 12 avril.
Sur le plateau, une table en plexiglas, un micro transparent. En plein centre, un tapis de danse aux reflets liquides. L’espace flotte, instable, comme dans un cauchemar où les repères se brouillent. Le ciel et la terre, le haut et le bas, n’ont plus de réalité tangible. Au cœur de cette abstraction aqueuse, Maëlys Ricordeau incarne Laura et Salomé, deux jeunes femmes en fusion, indissociables, emmêlées dans une amitié toxique qui oscille entre domination et soumission.
Elle parle, et très vite nous comprenons : elles sont deux. Ou plutôt, elle est deux. Une schizophrénie d’une justesse troublante. L’histoire est celle d’une amitié absolue, absolue jusqu’au poison. Laura et Salomé se font mal, se traquent, se détruisent, s’adorent. Un jeu de pouvoir qui bascule sans cesse, où l’emprise de l’une sur l’autre est totale. Lac Artificiel, écrit en 2021, lauréat de l’aide à l’écriture Beaumarchais en 2022, ayant reçu les encouragements ARTCENA en 2023 et publié chez TAPUSCRIT | Théâtre Ouvert en mars 2023, s’inscrit dans une exploration des relations ambivalentes qui vrillent encore plus quand elles se déploient dans une forêt obscure, la nuit.
Das Plateau nous emporte sur le fil du film d’horreur. Ce collectif, fondé en 2008 par Céleste Germe (architecte/metteuse en scène), Maëlys Ricordeau (comédienne), Jacob Stambach (auteur/compositeur) et Jacques Albert (auteur/danseur), explore depuis ses débuts des formes théâtrales où la mise en scène dialogue intensément avec l’image et le son. L’angoisse monte, implacable. Si nous étions au cinéma, nous aurions déjà caché nos yeux derrière nos mains. Ici, il faudrait se boucher les oreilles pour ne pas entendre ce que l’on pressent : que cela finira mal. Deux filles, perdues dans une nuit sans fin, cherchant à rejoindre une fête, ou plusieurs, mais n’arrivant jamais à destination. Elles croisent des hommes trop alcoolisés, des grands méchants loups en puissance. L’atmosphère est saturée de tension.
Céleste Germe compose un espace vibratoire où l’image palpite sans jamais bouger. Les ombres, les mirages, la lumière sculptent un monde en perpétuelle mutation. Plus la pièce avance, plus le drame s’enfonce. Ceux qui connaissent le travail de Das Plateau retrouveront cette manière unique d’inventer des images, de travailler les ambiances au plus près du sensoriel. Ici, pas de grand dispositif scénique comme dans Le Petit Chaperon rouge – spectacle qui avait marqué Avignon – ou comme dans leur future Orestie, prévue pour 2026. Mais un geste plus intime, une radicalité qui n’en est pas moins saisissante. Le corps et la voix de la comédienne sont le moteur de cette peur. Aigue, elle est Salomé, grave, elle est Laura. La fusion
Rarement le théâtre joue avec la peur de cette manière. Lac Artificiel nous la fait ressentir dans chaque frisson sonore, dans chaque reflet trouble. Un vertige sensoriel où l’illusion et la réalité s’effondrent l’une dans l’autre. Un pas de deux hypnotique, à voir absolument jusqu’au 12 avril.
Lac artificiel, Du 31 mars au 12 avril, Théâtre Ouvert (XXe)
Visuel :© Das Plateau