Au Festival Impatience, le metteur en scène tout droit sorti de l’école du TNB réactive les archives oubliées de l’émission la plus libre des années 80 : Lune de Fiel, les mardis sur Frequence Gay, entre 1986 et 1989. Installez vous «bande d’endives», nous sommes en direct !
Contexte : nous sommes en France, François Mitterrand est président de la République et, rapidement après son élection, il libère les antennes de radio (1981) et dépénalise l’homosexualité (1982). Mais en France, comme dans le monde entier, les années 80 marquent également l’arrivée du sida (1983). Quelques années plus tard, en 1986, David Girard (Guillaume Costanza), homme d’affaires à la tête d’un réseau de saunas et de clubs gays, se paie deux heures par semaine « De bonheur et de jouissance » sur le 96.5 de la bande FM. La fête sera courte, il meurt des suites du sida trois ans après, en 1989, il a 31 ans. Mais avant, vivant, il parle fort et crade, en compagnie de Zaza Dior (Julien Lewkowicz), Fanfan (Laure Blatter), Pascale (Sarah Calcine) et Ricardo. De ces émissions, il reste quelques enregistrements consultables en ligne, existant grâce à la volonté des fans. C’est ce matériel qui est la base de cette pièce semi-documentaire qui mêle archives en direct et monologues fictionnels.
On retrouve Zaza à la fin de sa vie, lui, il a survécu. Il enregistre une cassette sur un vieil appareil. On entre dans sa nostalgie et ses souvenirs deviennent réalité. Autour de la grande table, les chroniqueurs et chroniqueuses chaussent les casques et ouvrent l’antenne pour la dernière fois, pour la toute dernière émission. Il faut le dire tout de suite, la pièce n’ose pas exactement répercuter toute l’insolence potache et souvent super vulgaire de David, qui se faisait appeler Dani. Le langage est très fleuri dans cette émission où, en réalité, on rit pour ne pas crever. L’époque est meurtrière, les traitements n’existent pas encore, rien ne peut ralentir sérieusement la maladie. Julien Lewkowicz montre bien comment le sida est un impensé de l’émission. Dani est malade et préfère ne pas en parler, même quand son ventre lui joue des tours en direct. Le metteur en scène choisit de taire son silence en imaginant ceux et celles qui restent, « sa famille », qui gardent la trace de son outrecuidance et de cette aberration : un jeune homme mort à 30 ans.
Tous les mardis, c’est toute la communauté homosexuelle parisienne et quelques hétéros qui se livrent et se racontent tout dans une débauche de « conneries ». L’émission hautement culte se pare de séquences très drôles, comme celle du téléphone rose où Pascale s’occupe en direct d’un auditeur au bout du fil, et de joutes qui atteignent un climax sonore très élévé. Les comédien·ne·s arrivent à nous faire entendre tout l’exutoire que constitue ce programme. Ils et elles pointent de la voix cet entrechoquement insupportable entre la vie et la mort. La concordance des temps est sidérante, d’un côté, les homosexuel·le·s ont enfin le droit de vivre et, de l’autre, leurs rapports sexuels les tuent par milliers, comme des mouches. Un comédien dit : « Tu riais pour oublier la honte d’être pédé », et, au fur et à mesure que la pièce avance et que l’antenne s’apprête à être rendue pour toujours, Ce soir j’ai de la fièvre et toi tu meurs de froid nous entraîne dans la réalité de la survie de ces garçons qui n’ont toujours pas l’âge d’être morts aujourd’hui.
Et comme c’est très triste, alors, il faut se marrer très fort. Les comédien·ne·s oscillent entre leurs rôles d’animateur et d’animatrice et celui d’auditeur ou d’auditrice. Les moments de « Off », pendant les chansons, mettent en avant l’amitié ultra solide qui unit ce groupe, et l’on saisit aussi la dose de silence qui existe en dehors de l’antenne, dans les familles. Quelque part entre Les Idoles de Christophe Honoré et Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, on glisse dans cette époque où les paillettes se métamorphosaient en allégories sexuelles permanentes. Encore une fois, rire parce que c’est grave. Ce soir j’ai de la fièvre et toi tu meurs de froid est donc un brillant spectacle, qui permet de comprendre à la fois l’apport des radios libres à accompagner les souffrances et les joies de la jeunesse et aussi de saisir la réalité de la vie homosexuelle des années 80. Et si, comme nous, voir la pièce vous a donné envie de découvrir les « vraies » voix de Dany, Zaza, Pascale et Fanfan, sachez que pas mal d’émissions sont en ligne, pas toutes, mais c’est déjà pas si mal. Ce spectacle fait mémoire de cette histoire plutôt oubliée, il rend ces trublions qui osaient tout absolument immortels.
Le festival Impatience se tient jusqu’au 18 décembre.
Ce soir j’ai de la fièvre… sera au Théâtre Paris Villette du 19 mars au 4 avril
Visuel : ©Marie Charbonnier