« Ce qu’il faut dire », une traversée entre intime et politique

Se nommer soi-même

Il y a tout d’abord ce regard perçant des deux interprètes, franc, frontal, qui défie, mais qui ne blesse pas, et qui surtout ne baisse pas les yeux et nous oblige, spectateurs, à être des spectateurs debout même si bien campés dans nos sièges, en nous exhortant à une prise de conscience et à une pensée critique. « De quoi Afrique est-il le nom ? » Il s’agit bien ici de nommer, de définir, de comprendre ce lieu particulier du je, du soi et avant toute chose, de se (re)nommer soi-même et de ne pas attendre que quelqu’un nous nomme à notre place. Il s’agit de comprendre qui nomme, qui a nommé, de se réapproprier son nom et de rétablir des vérités. Il s’agit d’affronter le passé colonial, d’explorer les enjeux de domination d’une façon singulière et tranchante avec brutalité, car il ne pourrait en être autrement, mais avec ironie parfois et poésie, toujours, à travers trois chapitres : « la question blanche », « le fond des choses », « la fin des fins ».

Un duo sororal

La comédienne Karine Pédurand semble être habitée par le texte au fur et à mesure de la pièce, de manière de plus en plus prégnante (l’actrice atteint son apogée lors du second chapitre), à travers des mouvements qui engagent tout son être. Elle est le texte, elle vit le texte qu’elle profère telle une partition sonore accompagnée par la guitariste Triinu Tammsalu. La guitare de la musicienne n’est pas juste là pour soutenir, elle vibre, elle vit, elle aide à scander les paroles. C’est un duo qui résonne, en écho et en complicité de rythme et d’écoute, à l’image de ce que souhaite aussi porter le texte : inventer ensemble de nouveaux rapports de forces, tout en fraternité, en sororité, en humanité, malgré tout.