« Caspar ou l’anatomie d’un fou » : une analyse glaçante de la folie et de la lobotomie aux États Unis dans les années 1970

La chapelle des italiens, située en pleine ville historique, comme toutes les salles du festival OFF accueille une petite dizaine de spectacles par jour à des heures définies à l’avance. C’est à 19 heures que la pièce « Caspar ou l’anatomie d’un fou » est jouée par deux interprètes qui se connaissent bien et dont la complicité se fait jour à mesure que le temps passe.

L’histoire

Caspar, un jeune américain vivant dans les années 1970, se réfugie dans la folie après avoir été victime d’inceste par son frère aîné et maltraité par ses parents. Quand la pièce commence, Caspar vient d’être transféré d’un sanatorium dans un asile de fous ou l’on pratique la lobotomie. Il lie des liens avec Leland, l’infirmier chargé de s’occuper de lui, sans pour autant se livrer totalement. 

Un long monologue entrecoupé de quelques dialogues

Claude-Alain Planchon écrit un texte glaçant relatant avec des mots crus toute la souffrance que ressentaient les « malades », souvent des schizophrènes, des « fous » ou des innocents « dérangeants » pour leurs familles, l’un des exemples les plus célèbres étant Rosemary, la sœur du président assassiné John Fitzgerald Kennedy qui disparut des photos de famille juste après avoir été lobotomisée. Le texte de Planchon est un monologue qui débute après la prise de contact entre Leland et Caspar ; prise de contact qui intervient juste après que le jeune homme a été transféré du dernier sanatorium – « le sana » comme ils disent l’un et l’autre – ou Caspar était interné dans l’asile où exerce Leland. Ces échanges rares mais nécessaires permettent à Caspar de se livrer juste assez pour échapper à la lobotomie, la « punition » ultime de l’asile, mais pas complètement non plus. Car Caspar parle à Leland par intermittence et en termes pas très clairs des viols incestueux que lui imposait Carl, son frère aîné, et des coups qu’il recevait de la part de ses parents qui lui ont toujours préféré Carl, ce frère tant détesté.

Une mise en scène travaillée jusque dans les moindres attitudes et mouvements

Olivier Desbordes a travaillé dur en amont du spectacle avec Mickaël Winum (Caspar) et Jean Paul Sermadiras (Leland). Chaque geste, chaque posture, chaque saut « de cabri » a été étudié, répété et re-répété jusqu’à ce que les deux hommes deviennent totalement et sans doutes possibles Caspar et Leland. Et pendant toute la durée de la pièce on ne voit pas Mickaël et Jean Paul, mais deux hommes en souffrance chacun cloîtré dans son malheur, dans son deuil, dans sa douleur. Et toute la crudité du texte de Claude-Alain Planchon ressort avec une dureté accrue par la blancheur des costumes des deux hommes mais aussi par le simple décor en angle droit sur lequel défile de temps à autres un texte relatant l’histoire de la lobotomie (qui valut à son « inventeur » le prix nobel de médecine dans les années 1930), des images de manifestations, des photos, des « images » dégoulinantes de sang frais … C’est Patrice Gouron, le décorateur de la compagnie, qui a été chercher les éléments de décors et les accessoires nécessaires pour sublimer la mise en scène d’Olivier Desbordes et accentuer encore l’impression d’étouffement qui ressort du texte, pour amener le public à réfléchir sur ce que sont la folie, la schizophrénie et les maux afférents.

Deux acteurs exceptionnels au service d’un texte d’auteur difficile

Pour incarner Caspar, Olivier Desbordes a invité le très bel acteur Mickaël Winum avec qui il a déjà travaillé pour la lecture de « Vous n’aurez pas ma haine » écrit par Antoine Léris juste après les attentats du 13 novembre 2015 dans lesquels il a perdu son épouse, morte au bataclan, le laissant seul avec leur enfant en bas âge. Dès lors qu’il en a revêtu le costume blanc comme neige, le jeune homme devient Caspar avec tous ses doutes, son ambivalence, sa folie dont on n’arrive pas à savoir si elle est vraie ou simulée, sa douleur générée par les viols incestueux commis par son frère et les coups reçus par ses parents ; autant « d’éléments » qui ont fait de Caspar un jeune homme abîmé par la vie. Winum fait montre d’un talent inégalable car le texte cru, dur, glaçant en fait frémir plus d’un. L’histoire de la folie et de la lobotomie font froid dans le dos et l’on ne peut que se demander si les médecins chargés de soigner ces malades si particuliers étaient bien conscients des terribles souffrances supplémentaires qu’ils infligeaient à leurs patients. C’est Jean Paul Sermadiras qui incarne Leland, l’infirmier qui prend Caspar en charge dès son arrivée à l’asile. Et il le fait avec beaucoup d’humanité, même si par moments il éprouve le besoin de s’éloigner de Caspar pour se ressourcer auprès de ses enfants. La rencontre, et parfois même l’affrontement, entre les deux hommes est quelque peu tendue mais Leland est suffisamment intelligent pour parvenir à soutirer des informations à Caspar. Sermadiras fait montre d’un talent remarquable malgré ses apparitions peu nombreuses. Cela étant dit, même rares, les apparitions de Leland sont assez marquantes pour que l’on se souvienne qu’il protège le jeune homme dont il a compris toute la souffrance et dont il a deviné la douleur atroce due à un passé cruel, dur, glauque.

Bien que « Caspar ou l’anatomie d’un fou » soit une pièce dure, crue, cruelle, elle amène le spectateur à s’interroger sur l’univers des pathologies psychiatriques, la schizophrénie et la lobotomie qui fit beaucoup plus de mal que de bien aux patients qui en furent victimes entre 1935 et 1985. Le texte glaçant de Claude-Alain Planchon est remarquablement écrit et pousse chacun, comédiens, metteur en scène, public dans ses retranchements.