Marie-Sophie Ferdane (accompagnée d’Olivier Marguerit) donne vie aux textes de la grande dame de la chanson ; avec distance, sans chercher à imiter, mais en choisissant, de belle manière, des instantanés de la vie et de la carrière. Un spectacle qui nous rapproche de l’artiste, sensible et émouvant.
« Raconter » Barbara, cette femme qui semblait avoir mille vies, c’est inévitablement faire des choix. Il y eut tant de chansons qui se sont gravées à jamais dans le paysage musical français, de scènes, d’interviews et d’engagements, puis cette somptueuse exposition à la Philharmonie, puis ces hommages si nombreux, que tracer ce parcours nécessiterait tant de longues heures ; un parcours qui s’arrêta brutalement le 24 novembre 1997, laissant les admirateurs totalement désemparés. Elle n’avait alors que 67 ans.
« Raconter sa » Barbara, c’est ce qu’a décidé de faire Marie-Sophie Ferdane. Physiquement, bien sûr, la femme blonde a peu en commun avec la chanteuse. Et c’est presque tant mieux a-t-on envie de dire, car elle peut ainsi choisir d’incarner selon son propre chemin, avec sa propre sensibilité. Chaque rencontre avec Barbara était (et est encore) une rencontre singulière. Compte tenu de son âge, il n’est pas sûr que Ferdane ait vu Barbara en scène ; elle fait sûrement partie de ceux qui ont découvert la chanteuse au fil du temps, comme on découvre une icône. Et cela n’a strictement aucune importance, car, précisément, Barbara est aujourd’hui comme un monument qu‘il est beau de révéler à tout âge ; et il est beau de voir une actrice de se lancer dans une aventure audacieuse et finalement ô combien difficile.
Le choix de Ferdane (avec Clémentine Deroudille et Arnaud Cathrine, avec Emmanuel Noblet à la mise en scène) est plus celui des mots, des paroles de chansons lorsqu’elle lit le texte de « Nantes », une pièce si personnelle sur son père qui ne lui a pas fait que du bien, mais qui nous frappe immédiatement au cœur. Avant même de les mettre en musique, les mots de Barbara étaient déjà des poèmes (un terme qu’elle récusait, comme elle récusait d’être une artiste politique) qui visaient cruellement juste.
Il est forcément un peu frustrant de parler d’une chanteuse en entendant peu de ses chansons (il y en a tout de même quelques-unes, dont une très belle interprétation de « Dis, quand reviendras-tu ? » par Olivier Marguerit), mais qu’une actrice fasse le choix des mots et non des mélodies n’est qu’une évidence.
Et les mots, le talent de Ferdane est de leur redonner un rythme, celui qui était celui de la voix de l’artiste, cette élocution pour le coup unique, avec ses accélérations qui montraient parfois son agacement. Par ses choix, l’actrice nous fait donc partager « sa » Barbara. C’est réussi (ce n’était pas le plus facile) et c’est beau.
Lorsque le spectacle commence, il est dit « Ce soir je joue, alors j’ai peur ». L’auteur de ses lignes se souvient de sa rencontre avec Barbara dans les coulisses du châtelet, un matin de 1987. Oui, c’était ça, Barbara, une femme tapie dans le noir, occupant sa loge dans un théâtre vide, se préparant au soir où elle allait tout donner.
Et, cette entrée en matière rappelle ce que fut cette femme unique qui refusait les superlatifs et se définissait simplement « comme une femme qui chante ». Cette modestie était-elle sincère ou une coquetterie ? Quelle importance, car elle était partie intégrante de l’artiste qui s’était construit un personnage…
Les textes dits ce soir sont donc rigoureusement ceux de la chanteuse. Par la voix de Ferdane, elle dit « c’est une tête que je ne supporte pas » et, en même temps, « Je chante parce que j’aime m’exhiber » ; elle dit qu’elle a bâti son propre univers, car elle ne se reconnaissait pas dans les chansons des hommes (et quels hommes, Brel, Brassens !) ; elle raconte les scènes, surtout celles du début : Bruxelles, l’Écluse, Bobino.
Forcément, Ferdane rappelle que Barbara entretenait une attention presque pathologique à son environnement de scène, à son costume noir, à ses exigences vis-à-vis de son piano réglé à 442 et son tabouret à 61 centimètres.
Par deux fois, l’actrice va jouer avec le public, de façon très différente de ce que pouvait faire Barbara qui instaurait autant de distance que de proximité intime avec ses spectateurs, et la mise en scène d’Emmanuel Noblet qui part d’un studio de radio pour s’en évader est une belle manière d’évoquer le fait que Barbara était aussi une femme de questionnement qui ne rechignait pas à faire son numéro devant les micros (ah, les interviews mythiques de Denise Glaser !). Un monument, une artiste exigeante, une femme exhibitionniste parfois, amoureuse aussi ; Ferdane fait des clins d’œil à toutes ses dimensions de cette drôle de femme polymorphe.
On pénètre un peu dans la vie privée de Barbara par le biais d’une « lettre à Luc ». Ce moment n’est pas le plus convaincant. Est-ce parce qu’il bien plus difficile de s’introduire dans les jardins secrets que de décrire la vie publique et la scène ? Mais, ce sont là des préférences, et forcément chacun a sa propre Barbara accrochée au cœur. Ferdane en disant sa Barbara montre ce qui résonnait d’abord en elle, de manière personnelle, et c’est légitime.
S’il nous paraît cependant manquer quelque chose dans les choix de l’actrice et des concepteurs du spectacle, c’est l’engagement de Barbara dans la lutte dans le Sida, lorsqu’elle écrivit une chanson aussi violente que la mort, mettait des préservatifs à l’entrée des salles, répondait au téléphone aux malades…
Ce soir, le spectacle a été suspendu un moment parce qu’une spectatrice s’est trouvée mal. On l’a secourue, l’actrice a donné sa bouteille d’eau ; et c’est reparti. Eh oui, les péripéties du spectacle vivant… Et d’ailleurs, Barbara n’était-elle pas la première à interrompre ses spectacles, quand elle estimait que les lumières étaient mal réglées et qu’elle menaçait (sans nous convaincre) de tout arrêter… ?
À la fin, Ferdane et Marguerit se lancent dans une très belle interprétation de « Du bout des lèvres ». L’actrice danse et fait re-mourir Barbara. Le charme s’évanouit. On entend « Dis, quand reviendras-tu ? » chanté par le public qui refusait de quitter les concerts (Pantin 1981 ?). Surgit la jeunesse à qui Barbara parlait si bien, puis Ferdane reprend son autonomie et referme son hommage à la longue dame brune. Un si bel hommage en somme…
Visuel : © Emmanuel Noblet