Dans le cloître des Célestins, Fanny de Chaillé rassemble les étudiantes et étudiants du Bachelor Théâtre de La Manufacture – Haute école des arts de la scène de Lausanne autour de leurs mémoires réelles et fantasmées du Festival d’Avignon. Un spectacle bonbon qui rend l’archive vivante et s’amuse du public très unique de cet événement pas comme les autres !
Tu te souviens, toi, du Mahâbhârata de Peter Brook dans la Carrière ? Et d’Inferno ? Oui, non, tu l’as vu en captation ? Et tu te rappelles la nuit du Soulier de satin ? Il paraît qu’il y avait du café pour tenir. Et aussi, Isabelle Huppert dans le mistral ? Cela fait 78 ans que des spectateurs et des spectatrices débattent et échangent autour des spectacles qu’ils et elles voient, et cela pendant des années qui suivent la représentation. Et cela même parfois sans qu’ils et elles aient vu les spectacles. C’est propre à Avignon, à l’idée folle qu’a eu Vilar de jouer en plein air pour décloisonner les murs. Depuis 1947, sans discontinuer, sauf en 2003, le festival rassemble, divise et se questionne sur les libertés de création. Tout cela est la matière de ce spectacle pensé comme une courroie de transmission entre les générations.
Fanny de Chaillé a pendant deux ans fouillé les archives du festival. Elles se trouvent dans l’annexe de la BNF, à la Maison Jean Vilar, ici, à Avignon. Elle a aussi écouté les interviews, lu les critiques, vu des photos. D’ailleurs, vous l’apprendrez peut-être, mais sur le site du festival, vous pouvez retrouver toutes les feuilles de salle depuis 1947. Mais voilà, il ne s’agissait pas de faire un colloque de trois jours, mais 1h30 de spectacle. Quelle aventure ! Comment choisir ? Comment constituer un corpus cohérent recouvrant 78 ans de spectacle ? Eh bien, avec quelque chose que Fanny connaît bien : le cœur.
Ève Aouizerate, Martin Bruneau, Luna Desmeules, Mehdi Djouad, Hugo Hamel, Maëlle Héritier, Araksan Laisney, Liona Lutz, Mathilde Lyon, Elisa Oliveira, Adrien Pierre, Dylan Poletti, Pierre Ripoll, Léo Zagagnoni, Kenza Zourdani montent tous et toutes pour la première sur l’une des scènes les plus cultes du festival. Ils et elles sont donc exposé.e.s. Ils et elles vont jouer les archives, à commencer par la mélodie mathématique de Philip Glass pour Einstein on the Beach, et puis on glisse dans l’histoire de façon chrono-thématique. Les grands chocs des festivals passés nous reviennent : Gérard Philipe, Béjart, Pina, l’arrivée de la performance avec Rodrigo Garcia, les cris de Macaigne, entre autres. La pièce rappelle qu’Avignon est fait de grands textes (combien de Bérénice ?) et de grands gestes (le chaos du Living Theater qui a signifié le passage d’un monde d’avant à un autre monde d’après).
Avignon, une école, est un spectacle à deux niveaux. Il permet à la fois de voir qui sont les talents à suivre et de se replonger dans une histoire par essence émotionnelle. La troupe est merveilleusement homogène et Fanny de Chaillé donne à chacun et chacune la chance de briller dans leur individualité et dans le choeur. C’est un spectacle délicieux, fait pour Avignon. Cette pièce est surtout un mode d’emploi du festival, une espèce de carte d’identité de cette bulle magique. Celui qui n’a jamais vu un spectacle du festival peut tout saisir de la passion qu’il suscite.
Visuel : © Christophe Raynaud de Lage
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