L’on connaît le Golem grâce à Singer et Meyrink. C’est à la découverte de celui de Gitaï que nous convie cette année le Théâtre de la Colline.
Ce n’est pas la première fois que Gitaï se frotte à ce personnage légendaire : quand il entreprend cette pièce, il a déjà derrière lui trois films reprenant cette figure, Naissance d’un Golem (sorti en 1990), Golem, l’esprit de l’exil (1991) et Golem, le jardin pétrifié (1993). Les dates de ces films semblent d’elles-mêmes circonscrire l’intérêt du réalisateur pour ce monstre d’argile au début de la décennie 1990. Pourquoi, dès lors, se replonger, trente ans après, sur ce personnage mythique ?
Une partie de la réponse tiendrait précisément à cette dimension mythique, qui ferait du Golem un personnage dont on n’a jamais fini d’épuiser le sens. Mais la singularité de cette légende tient aussi à la date, relativement récente, de sa naissance et de sa diffusion, tout comme à la personnalité des auteurs qui ont contribué à maintenir vivante, au XXe siècle, la mémoire de ce défenseur de la communauté juive de Prague.
La figure de Singer, notamment, traverse tout le spectacle, dont les acteurs et actrices citent régulièrement quelques phrases. Son attachement au yiddish, qu’il définit comme « langue en exil, sans pays, sans frontières », informe l’écriture de cette pièce, qui mêle de nombreuses langues, comme le faisait déjà House, la précédente pièce de Gitaï. Dans Golem, toutefois, le mélange est au cœur du projet, à la fois fin et moyen, métaphore du métissage et du cosmopolitisme. À travers les deux figures de Singer et du Golem, c’est à un appel à considérer les déshérité·es comme des proches que se livre le réalisateur.
Bien entendu, ces déshérité·es sont, dans Golem, au premier chef les Juifs et Juives d’Europe de l’Est diffamé·es, persécuté·s et assassiné·es par l’antisémitisme. La multiplication des pogroms fait ainsi l’objet d’un long passage. Le texte qui le porte est d’une grande force, mais malheureusement accompagné d’une représentation un peu trop topique des massacres, avec des vidéos de flammes qui envahissent la scène de façon un peu gratuite : à cet endroit, le texte se suffit, et le feu dessert le propos plus qu’il ne le sert.
D’autres tableaux sont au contraire d’une grande expressivité. C’est le cas de la première partie du spectacle, qui joue de la tridimensionnalité de l’espace théâtral. Est-ce là une vengeance d’un cinéaste contraint par les deux dimensions de l’écran ou d’un retour de l’ancien étudiant en architecture ? Toujours est-il que Gitaï choisit de rendre visibles les cintres du théâtre, lesquels supportent des murs et des portes délabré·es, dont le vide créé par les fenêtres se projette sur l’écran de fond de scène en une iconographie qui emprunte au cinéma expressionniste. Par cette référence, le metteur en scène crée un réseau de dates clés dans la persécution des Juifs et des Juives d’Europe.
Toutefois, les persécuté·es ne sont pas les seul·es Juif·ves, mais aussi tou·tes ces réfugié·es dont on détourne le regard et que l’on encercle de frontières et de barbelés. Cette défense des mélanges et de l’antiracisme, qui pourrait sembler convenue, résonne avec une terrifiante actualité aujourd’hui. Pour la rendre tangible, les acteurs et actrices de Golem expriment chacun·e leur tour, face public, des éléments de leur vie personnelle. Ce passage, qui court le risque du simple discours politique un peu facile, est en réalité d’une grande force grâce à la présence de superbes acteurs et actrices – mention spéciale à Irène Jacob et Micha Lescot – qui rendent sensibles leurs expériences.
En dépit de quelques moments où la vidéo se fait un peu superflue, Golem est un spectacle à la fois nécessaire et d’une grande beauté formelle.
Golem, texte et mise en scène Amos Gitaï. Au Théâtre de la Colline jusqu’au 3 avril 2025.
Visuel : © Simon Gosselin