Avec « Fille de roi », Sara Llorca célèbre le théâtre

« Un dialogue avec le chef d’oeuvre »

De Cordélia et de son père Lear, tout le monde connaît le destin funeste. Ce que Sara Llorca entend nous raconter, ce n’est pas la Cordélia de Shakespeare, mais bien sa Cordélia. Qu’arriva-t-il à la jeune fille que le « Grand Will » nous a tu ? Il s’agit, nous dit-elle, d’« emprunter la route de Cordélia et imaginer ce que Shakespeare n’a pas écrit » pour livrer au public un « dialogue avec le chef d’oeuvre ». Ce dialogue, c’est un regard sur les relations entre la princesse et le roi pour examiner le rapport de Sara Llorca à son propre père.

Cette dimension autobiographique fait malheureusement échouer une part du pacte liminaire : déjouer le « regard biaisé » (l’expression est de Sara Llorca) que porte Shakespeare sur les femmes. Les relations père-fille contemporaines éclipsent rapidement celles de Lear et de sa fille et, de Cordélia, nous n’en saurons finalement pas beaucoup plus que ce qu’a écrit l’auteur élisabéthain.

« Notre royaume, c’est le théâtre »

C’est que, comprend-on rapidement, la réalité du Roi Lear de Sara Llorca est ailleurs : il est dans le pouvoir des mots et de l’imaginaire que dévoilaient déjà, avec leurs flatteries hypocrites, Goneril et Régane. Mais, dans Fille de roi, si les apparences sont trompeuses, elles sont aussi merveilleuses, puisqu’elles transforment sans aucune formule magique un père en roi et une fille en princesse. Car, en fait de royaume, le père de Sara Llorca règne sur le pays des faux-semblants qu’est le théâtre. Il s’agit du metteur en scène Denis Llorca, présence fantomatique  dont la voix enregistrée dialogue avec celle de sa fille.

Ce spectacle signé par Sara Llorca et Benoît Lugué est en effet conçu pour deux personnes au plateau, un musicien, Benoît Lugué, dont les chansons reprennent les ritournelles du fou de la pièce de Shakespeare, et Sara Llorca, qui interprète son propre rôle à la manière d’une récitante. Face public, elle nous raconte son histoire avec Cordélia et avec son père. Si, au début du spectacle, elle sort d’une malle les costumes qui servent à figurer les personnages, le plateau est relativement nu, rehaussé seulement d’un portant qui servira à accrocher les robes autant qu’à signifier l’univers du théâtre. La part du conte et du récit dans cet hymne au spectacle fonctionne, mais on regrette quelques longueurs qui, malgré la présence de la comédienne et du musicien, dissolvent par instants l’attention du public.