« Le monde est un conte de bruits et de fureur raconté par un fou et qui ne signifie rien » fait dire Shakespeare dans son Roi Lear. C’est ce conte que nous offrent Macaigne et sa troupe. Contrairement à l’avis de la rédaction cet automne, ce spectacle nous a submergés.
En reprenant « Richard III », Vincent Macaigne se saisit de l’une des pièces les plus violentes du dramaturge élisabéthain. Mais il reste bien peu de cette chronique historique de ce roi maudit de la lignée des York, objet de propagande littéraire pour les Tudor. Quelques rares répliques « Ores voici venu le temps de notre déplaisir », quelques scènes marquantes comme l’assassinat du jeune prince Andrew sont encore là. Mais, à la manière d’un Heiner Muller, il dissèque, fouille les entrailles de cette œuvre monstrueuse. Restent alors des excréments, de la boue et du sang : ce qui fait notre humanité et notre animalité tout à la fois.
La scénographie tient d’un abattoir à la fois celui des morts à venir mais aussi, et peut-être surtout, de la foi en un avenir meilleur et d’un laboratoire dans lequel des êtres tentent tout pour survivre. Tout est sale, pourri, en déliquescence malgré les paillettes et les confettis. Tout espoir devient dérisoire et pourtant toute fête nécessaire bien qu’inutile. Les toiles de fond, qui furent blanches dans un lointain passé, sont maculées de traits noirs et rouges, à la manière d’un Cy Twombly et d’un cri « à l’aide ». On est subjugués par la force de cet espace dont aucun recoin ne sera laissé à l’abandon. Les comédiens sont partout, tout le temps. Repris au micro (les bouchons d’oreille sont plus que conseillés à l’entrée), ils hurlent leur solitude, leur haine, leurs désaccords, leur haine mais aussi leur volonté d’être aimés.
Et l’humour n’est jamais loin. Macaigne s’inscrit dans la représentation de la violence telle qu’a pu la penser Antonin Artaud mais aussi dans le Grand Guignol et les Monty Python. Le sang gicle comme dans un film de série B. Et l’on s’interroge de savoir s’il faut rire ou être saisi d’effroi. Pour nous mettre dans un tel trouble, il faut l’immense talent des comédiens de la troupe. On pense surtout à Sharif Andoura et Candice Bouchet. Se jetant à corps perdus dans cette aventure de 2h30, ils ne laissent aucun répit au public. Invités à se lever pour applaudir l’accession de la violence, à danser pour célébrer cette famille dysfonctionnelle au possible, les spectateurs se doivent de s’interroger sur le spectacle de la violence que l’on accepte et que l’on demande. À l’instar de ces images d’accidents de voiture tirées du Net et qui traversent ce spectacle saisissant et épuisant.
Crédit photo ©Simon Gosselin
Écriture, mise en scène, conception visuelle et scénographique, Vincent Macaigne
D’après Shakespeare et autres textes
Interprètes, Sharif Andoura, Max Baissette de Malglaive, Candice Bouchet, Thibault Lacroix, Clara Lama Schmit, Loïc Le Roux, Pauline Lorillard, Pascal Rénéric, Sofia Teillet – et des enfants en alternance
les 11 et 12 avril 2024 au Quartz – Scène nationale de Brest
du 19 au 21 avril 2024 au Théâtre Vidy-Lausanne, Suisse
les 9 et 10 mai 2024 aux Théâtres de la Ville de Luxembourg
du 16 au 23 mai 2024 aux Célestins – Théâtre de Lyon
les 29 et 30 mai 2024 à La Comédie de Clermont-Ferrand – Scène nationale