Elle est assise face à nous. Elle nous attend au milieu de ses livres, de ses souvenirs, de ses bouteilles aussi. Elle va nous livrer ses dernières vérités, ses dernières certitudes. Et nous jette au visage une vérité acariâtre et douce à la fois. Marguerite Duras est une femme colérique, on le sait.
Elle fut la romancière et la dramaturge du souvenir. Elle fut aussi une femme qui a beaucoup souffert, qui a aimé souvent, qui a su honorer et déshonorer son corps et ceux d’hommes rencontrés tout au long de sa vie depuis l’enfance. Elle fut cette écrivaine géniale qui a su s’attacher, dans une langue à elle, à interpréter et à réinterpréter sans cesse son enfance, sa vie, son monde.
Dans l’univers de Duras, la parole semble ne s’adresser à personne, et s’évanouit dans le silence. Les vies paraissent perdues tandis que l’émotion se retient sans cesse.
Catherine Artigala est admirable
La pièce épouse le trait. On se raconte, mais on ne se parle pas. C’est la confrontation des souvenirs qui sert de récit. Et le récit sert d’élaboration, de réflexion, de littérature et de stigmate d’une authentique sensibilité. À la fin de la confession, elle nous aura livré beaucoup sur son enfance. Elle ne veut retenir que la fille en elle.
Ma mère était plus que ma mère, c’était une institution. Il existe deux petites filles en moi, celle de l’Amant, et celle des photographies de l’enfance.
Elle se raconte et s’explique à partir de souvenirs. Se cache sous les mots une douleur qui est la souffrance elle-même. Lors de ces entretiens, elle ne nous racontera pas son enfant perdu. Elle veut rester une fille pour toujours. Elle reste aussi la romancière animée par l’amour de ses lecteurs. Il n’est pas sans périls de jouer sur scène une personnalité aussi célèbre. Catherine Artigala est admirable de neutralité positive, elle emplit intimement les mots de Marguerite Duras. Elle construit son personnage non en intentions, mais par les seuls mots de la romancière. Son personnage se constitue à la façon d’une construction littéraire. C’est épatant.
Catherine Artigala se fond à Duras, elle restitue tout. Rien ne lui échappe, ni les désillusions ni l’humour. À la fin de la pièce, trop courte, il faudra se séparer d’elles deux. Les applaudissements sont nourris.