Dans Arthur M., David Bottet nous entraîne, à travers l’autobiographie fragmentée du personnage éponyme, dans l’enfer d’un cycle de la violence familiale et sociale.
ARTHUR M.
C’est d’abord la création sonore de Stéphane Mineot qui nous cueille à l’orée de la représentation ; de chaque côté de la scène, à peine voilés par les rideaux, deux hommes diffusent, à l’aide de machines électroniques, un son magnétique et angoissant, tandis qu’un écran revêtu de lignes verticales vacillantes– code-barre ou barreaux de prison ? – tapisse le fond de la scène. L’homme seul sur scène semble répondre à ces stimulations sonores et visuelles, se contorsionnant sur sa chaise, le visage tordu de douleur, les mains crispées ; s’agit-il d’un condamné à mort ? D’une expérience scientifique ? Le ton est donné ; on n’est pas là pour s’amuser.
LES SOUFFRANCES DU JEUNE ARTHUR
Une fois passée la surprise de cette entrée en matière anxiogène, le mystère se dissipe peu à peu ; cet homme se tordant silencieusement de douleur sur sa chaise nous parle de sa femme décédée et évoque sa souffrance… à l’idée de n’avoir pas pu assister à son agonie. Le texte est tellement irréel dans la violence qu’il convoque que l’on est comme médusés par l’inquiétude. Pourtant, on le comprend vite, Arthur M. n’est pas un sociopathe ; seulement un homme que l’on a fait souffrir, et qui, en retour, a fait souffrir, dans un cycle infini de maltraitances parfois symétriques. Son autobiographie nous est contée par fragments décroissants chronologiquement ; et l’on recompose à mesure, les bribes d’une vie marquée par la violence, la folie de l’entourage, l’incapacité à aimer de la bonne manière. C’est du Zola, en moins descriptif et plus organique, en plus moderne aussi ; chaque événement de la vie d’Arthur M. est entrecoupée de transitions sonores et lumineuses, qui semblent marquer à chaque fois le franchissement d’une étape vers un enfer encore plus sombre.
UNE HISTOIRE DE LA VIOLENCE
Arthur M., titre qui sonne déjà comme un cas clinique, est l’histoire d’une reproduction de la violence, violence exercée sur les autres, et sur soi-même également ; le petit Arthur, qui à l’âge de neuf ans se retrouve enfermé par une mère violemment castratrice (on ne peut pas le dire autrement…) finit lui-même enfermé au sous-sol par sa seconde épouse, une foldingue complètement sadique. Il faut avouer que les femmes n’ont pas le beau rôle dans la pièce créée par David Bottet et mise en scène par Jean-Paul Rouvrais ; pourtant, ce n’est pas tant l’histoire de la folie des femmes que celle d’une folie familiale et environnementale dans laquelle le récit nous plonge sans prendre de pincettes. Même si vous avez lu tout Pierre Bourdieu, et que vous connaissez sur le bout des doigts les mécanismes de la reproduction sociale et des schémas de violence, vous serez frappés par l’intensité de l’incarnation sur scène de cette histoire – inspirée par les microfictions de Régis Jauffret – où la représentation du mal est poussée à son paroxysme.
UN FAIT DIVERS GLAUQUE ?
Il faut le souligner : David Bottet, qui interprète le rôle d’Arthur M., est remarquable, incarnant parfaitement chaque étape de la vie de cet homme torturé jusqu’au bout des ongles, de sorte que l’on assiste au déroulé de son horrible existence dans une profonde empathie, fasciné.e.s par ce qu’il exprime verbalement et corporellement. Pourtant, alors même que l’on assiste à l’explication génétique de sa triste vie, on a aussi l’impression d’être confrontés au récit d’un fait divers atrocement glauque : haine de soi et des autres, séquestration, homophobie, infanticide… Rien ni personne ne semble pouvoir être sauvé, et la seule lueur d’espoir et d’amour – quand Arthur M. explique aux juges à quel point il a voulu prendre soin de son fils – est vite obscurcie, et radicalement. Bref, c’est une pièce éminemment tragique d’où l’on ressort sonné.e.s, avec l’idée que nos vies humaines ne sont peut-être que le produit de circonstances atténuantes. A considérer…
Jusqu’au 21/07
à 18H15 à Artéphile
Relâche le 16/07
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