Du 23 novembre au 3 décembre le Théâtre Silvia Monfort permet au public francilien de (re)découvrir Les Limbes, un spectacle qu’ Étienne Saglio avait créé en 2014 et qui avait suscité à l’époque un enthousiasme largement mérité. L’occasion de vérifier que cette proposition qui mélange théâtre corporel, marionnette et illusion mérite encore mille fois le détour.
Du noir, beaucoup de noir : un plateau noir, encadré de pendrillons noirs, et les lumières créées par Elsa Revol qui le trouent de façon millimétrique : tel est l’écrin sombre qui accueille Étienne Saglio et les figures qu’il fait naître, car l’illusion s’accommode mal de se montrer en plein jour. Peu importe, puisque le propos est au diapason : même si Les Limbes n’est pas narratif, qu’on ne peut parler de récit et qu’aucune parole n’est prononcée, il développe une ambiance en même temps qu’il propose un personnage. La première est inquiétante, à la limite du cauchemardesque. Le second semble perdu dans un entre-deux où rôdent ses doubles et des présences fantomatiques. Il y a péril, peut-être celui de se dissoudre à jamais dans ces ténèbres qui l’entourent : aussi lutte-t-il contre toutes ces apparitions, essayant de comprendre les règles d’un univers étrange et manifestement hostile.
Pour construire les images qui suscitent autant l’inquiétude que l’admiration – inquiétude pour la menace imprécise mais qu’on sent toujours présente, admiration pour l’absolue précision de tout ce qu’il met en œuvre – Étienne Saglio s’appuie fortement sur la magie nouvelle et l’illusion. Les ectoplasmes en plastique translucide qui l’assaillent percent l’espace avec des mouvements d’une souplesse et d’une vivacité folles, que l’on peut vérifier de premières mains quand il entreprend d’en envoyer une se promener dans la salle, sous le nez des spectateur·rices. Pour renforcer l’effet d’irréalité, la marionnette à taille humaine, modelée sur sa physionomie et revêtue de la même cape rouge, est le partenaire de jeu tout indiqué pour brouiller les pistes et créer le vertige. Même s’il arrive en scène en la portant à bout de bras comme un tas de chiffon, et qu’il finit la représentation en dissipant l’illusion, l’entre-deux n’en trompe pas moins l’esprit et les sens des spectateur·rices, captif·ves de ce poème au noir orchestré sur fond de Stabat Mater de Vivaldi.
C’est magistral, tout simplement, et cela reste inégalé, même si cela a ouvert la voie à quelques explorations tentées par d’autres compagnies de magie ou de marionnette.
GENERIQUE
Création et interprétation Étienne Saglio
Ecriture et regard extérieur Raphaël Navarro
Ecriture Valentine Losseau
Création lumière Elsa Revol
Régie lumière Alexandre Dujardin
Régie plateau Simon Maurice, Yohann Nayet, Vasil Tasevski ou Gabriel Saglio
Régie son Thomas Watteau
Régie fantôme Camille Cotineau
Jeu d’acteur Albin Warette
Composition musicale Antonio Vivaldi et Jeff Dominges
Costumes Anna Le Reun
Montage et suivi de production ay-roop