Rapidement, dans une saison théâtrale, on réalise qu’il y a des tendances. On vous a parlé de la famille, on vous a parlé des tissus, et là, on peut vous le signaler : le portrait est à la mode. On a vu, en ce mois de septembre, pas moins de trois spectacles qui tracent le portrait de personnalités ou de comédien·ne·s. En l’occurrence, pour Théâtre Ouvert, il s’agit d’un travail à double entrée. Le metteur en scène Rémy Barché a demandé à plusieurs auteur·rice·s d’écrire autour de la vie de comédien·ne·s : ici, Pauline Peyrade et Marcos Caramés-Blanco pour Valentin Paté et Alann Baillet.
Le projet s’intitule donc Alann et Valentin : des portraits portés par eux-mêmes, dans les mots de leurs auteur·rice·s respectifs. La soirée se compose de trois textes. La première partie est un duo entre Pauline Peyrade et Valentin Paté, la seconde entre Marcos Caramés-Blanco et Alann Baillet, et la troisième prend la forme d’une chorale qui porte un autre pan des histoires de Valentin.
Il faut dire que ce projet n’a pas été conçu pour les théâtres institutionnels. C’est un spectacle qui se joue hors les murs, dans des lieux non dédiés au spectacle. Une pièce qui, par moments, prend la forme d’une lecture, notamment dans la première et la troisième partie, tandis que la seconde a de vrais accents de cabaret. Rémy Barché, longtemps associé à la Comédie de Reims, a rencontré lors de la promotion 2019 des comédien·ne·s en devenir. Certain·e·s, comme Alann et Valentin, ont intégré ce spectacle très sensible.
Valentin, c’est un jeune homme qui porte en lui tout le théâtre des années 80. Il rêve, dans son for intérieur, d’être Denis Lavant, de danser au Palace, de traîner avec Christophe le chanteur, ou de sortir d’une voiture avec la gouaille de Patrick Dewaere. Il a quelque chose de décalé dans son époque. Et, en réalité, on comprend au fil de son récit que son rapport à la mère est un peu compliqué, que son lien avec un petit frère est tragique. La vie de Valentin est marquée par les pertes, les fantômes et les grands trous.
Alors, pour tenir bon, il garde toujours sur lui un petit carnet tout abîmé, un carnet d’écolier, un cahier de brouillon sur lequel il a griffonné les moments clés de sa vie. De façon très douce, Pauline Peyrade est sur scène, elle lui donne la parole, la réplique, et parfois c’est lui qui se sert d’elle, lorsqu’il a besoin d’un support pour faire entrer Janis Joplin en scène.
Alann, lui, entre en scène de façon tout à fait différente : de manière spectaculaire. Alann est une drag queen, pardon, une marquise, qui défile en Marie-Antoinette dans les Ardennes. Comme toujours dans les spectacles de drag, on le sait : plus la perruque est grosse, plus les peines sont immenses, plus les cils sont longs, plus ils cachent les larmes qui coulent.
On comprend, au fur et à mesure qu’il se dévoile, qu’Alann a grandi dans un monde où être homosexuel n’était pas forcément bien reçu, où, comme il le dit, « les insultes en deux lettres font mal ». Alors, il décide de nous montrer sa revanche, sa fierté, de briller plus fort que les méchants, que les haineux, d’être si grand qu’il faut se tordre le cou pour le regarder.
Marcos Caramés-Blanco, qu’on avait découvert dans son premier texte Gloria Gloria en 2023 puis dans sa participation au Cabaret littéraire de Théâtre Ouvert, montre une nouvelle fois son esprit et son espièglerie d’écriture. C’est drôle, acide, mais ça tape fort. Il imagine qu’Alann pourrait… tout simplement tout. Dans l’idée que trop n’est jamais trop, que rien n’est jamais assez, qu’on peut toujours aller plus loin. Et on réalise que l’on se trompe en écrivant cela : pas pour Alann, dont le parcours nous montre qu’il peut être lui-même, avec ou sans artifices, qu’il peut aujourd’hui être solide, avec ou sans des gants à paillettes, et que le monde est décidément bien mieux quand on lip-sync sur Mylène Farmer. D’ailleurs, elle lui a fait l’honneur d’écrire une chanson qui porte son prénom (ou presque !). Au passage, la bande-son d’Alann est assez dingue, queer et kitsch à souhait, et l’on sort de là en fredonnant « Later Bitches » dans la rue et en ânonnant le prénom de cet artiste avec une voix évanescente, allez comprendre !
Il est passionnant de voir comment un projet né avec peu de moyens trouve sa force dans le cadre d’une salle en frontal, sublimé par de très belles lumières, notamment dans la partie consacrée à Alann. Le programme est sensible, merveilleux par endroits, et permet de découvrir deux comédiens follement attachants, qui nous entraînent dans leurs histoires.