«A strange loop », le théâtre en play-back de Suzanne Kennedy et Markus Selg à l’Odéon

par Amélie Blaustein-Niddam
09.11.2023

Après avoir été adulé au Kunstenfestivaldesarts puis à Avignon, la pièce de Suzanne Kennedy et Markus Selg arrive enfin à Paris, au festival d’Automne. Une ligne de fuite démente sur nos identités post-réalité virtuelle. GÉNIAL.

«Creepy»

Dès l’entrée du public nous sommes saisis par l’étrangeté du décor. Des éléments nous font comprendre qu’il peut s’agir d’un appartement. Il y a un lit, une table et des chaises. Une cuisine en vidéo, un faux feu de camp, pas mal de statues jaune fluo qui représentent un humain replié sur lui-même, deux portes tout aussi jaunes, et dans le même ton des rideaux comme des grilles de magasins. Sur le lit, une femme, habillée de façon tout à fait bizarre, traine sur son téléphone. Un sweat, une chemise blanche qui dépasse, un collant et aux pieds, des bottes à talons massives des années 2000/2002. Un bandeau déroulant nous raconte que cette histoire est vraie, qu’elle provient d’un mix d’enregistrements. A strange loop est né pendant le confinement. Suzanne Kennedy a été fascinée par le surgissement des témoignages direct sur les réseaux sur lesquels des gens, particulièrement des femmes, racontaient leur covid long, leur “inflammations”. A strange loop est une histoire inflammable. Dans un geste très ancré dans la modernité, Suzanne Kenedy s’empare des codes de maintenant. Le décor est de la vidéo en 3D aux allures d’hologramme, les comédien.es bougent et articulent comme si iels étaient des personnages de Second life, des Sim’s ou d’Animal crossing, choisissez votre génération ! Iels remuent et articulent, on ne peut pas les décrire autrement car leur bouche opère un lipsync sur leur propre voix enregistré. Cela crée une étrangeté “creepy” comme le dit Angela. Iels sont sans cesse un peu décalé.e.s, les corps presque robotisés, un peu coincés. Le son et l’image sont fascinantes.

«Tu as toussé un bébé »

Et puis au milieu de ce monde complétement surréaliste et en même temps complétement réaliste, se déroule une vraie histoire, toute normale au départ. Celle d’une fille qui se commande un fastfood avec son mec, Brad. Celle d’une autre fille, Susie, qui a envie de faire la fête les index levés vers le ciel ; celle d’une maman, qui a des raideurs dans les jambes. Et puis, ça vrille, si c’est un rêve, c’est un cauchemar qui convoque une perte de soi pour mieux se retrouver, une mue totale dans des confins lointains.

Suzanne Kennedy nous parle droit dans le cœur, elle nous confronte à nos vies de scroll, à nos doubles jeux qui nous rendent tous et toutes influenceurs et influences, conscient.es de ce qui se montre ou pas, des fausses confessions, des mises à nu bankable. Dans la forme et le fond, ce Strange loop est un manifeste de radicalité performative. Le jeu de Diamanda La Berge Dramm, Ixchel Mendoza Hernández, Kate Strong, Tarren Johnson, et Dominic Santia est au cordeau. Iels oscillent en permanence entre le vrai et le faux pour nous livrer des personnages pris dans des contresens de gestes quotidiens aux allures aussi artificielles qu’un jeu vidéo futuriste.

Jusqu’au 17 novembre à l’Odéon

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Visuel : ©Julian Röder

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