Le 8 mars 2024, pour la journée internationale des Droits des femmes, le studio Marigny organise une table ronde, animée par Claire Chazal sur le mouvement « Femmes, Vie, Liberté ». Elle suit la représentation de la pièce d’Aïla Navidi, 4211 km, qui est une immersion dans la communauté iranienne de Paris.
4211 km c’est la distance entre Paris et Téhéran. Aïla Navadi est née en France, de parents réfugiés politiques iraniens. Elle devait raconter à ses enfants l’histoire de leur grand-parents. Alors elle a écrit et mis en scène 4211 km. La pièce raconte la vie de Yalda, née en 1981, de sa naissance à ses 30 ans. Ses parents, Feyredoun et Mina Farhadi étaient, lui journaliste, elle professeur de philosophie. Militants de gauche, ils ont combattu le régime du Shah et ont été contraints à l’exil, en France, après l’avènement de la République Islamique, lorsqu’on a volé «leur révolution».
La mise en Scène d’Aïla Navadi est dépouillée, mettant en valeur la narration de Yalda. Pour raconter ses souvenirs, pour exprimer le regard qu’elle porte sur ses parents, elle est seule, debout en bordure de la scène. Au centre, un tapis persan représente le foyer, l’appartement, là où l’on se réfugie, là où l’on mange parle et danse iranien. La musique Farsi accompagne la pièce, renforçant la sensation d’y vivre comme au pays. Au sol, une curieuse matière noire volatile pourrait symboliser la terre iranienne tant aimée, mais elle est noire aussi, comme souillée par la violence politique et la dictature. La mise en scène est fluide, les scènes se succèdent naturellement dans des lieux divers comme l’appartement, la maternité, une cabine téléphonique et à des époques différentes. Celles qui se situent en Iran à la prison d’Evin sont jouées derrière un rideau de tulle. La salle est plongée dans l’obscurité, la lumière est blafarde. Alors les comédiens apparaissent tels des spectres et la violence éclate, terrifiante.
Les comédiens sont très convaincants, exprimant avec justesse un large panel d’émotions. Olivia Pavlou Graham incarne de manière touchante, une enfant, une adolescente, une jeune adulte. Aïla Navidi est radieuse dans le rôle de Mina, une mère chaleureuse, mais secrète. Florian Chauvet joue le rôle d’un père aimant, courageux, mais toujours dans la retenue. La pièce peut être drôle…et amère, lorsque toute la famille est sommée d’apprendre le passé simple ou lorsqu’un policier conseille à Yalda de s’appeler Yolande après sa naturalisation. Elle est tendre lorsque le grand-père passe de longs moments avec sa petite fille. Elle est joyeuse, lorsqu’arrive un ami d’Iran qui sera immédiatement accueilli, hébergé. Mais la tristesse est poignante quand le père se confie : «Quand nous sommes partis, nous pensions que c’était pour six mois, ça fait 35ans». Le courage des parents est admirable : courage de l’engagement politique, courage de croire à un retour après des décennies d’exil : « Je n’y crois pas , j’en suis sûr », assure Feyredoun.
Le questionnement identitaire est au cœur de la pièce d’Aïla Navidi. Entre un quotidien à Paris et un Iran fantasmé, mais omniprésent à la maison, Yalda enfant ne savait plus si elle était française ou iranienne. Son prénom était constamment déformé et elle a fait semblant d’être catholique ! La pièce débute par une dispute entre Yalda et son petit ami Édouard au sujet du nom de leur enfant. Narjane doit aussi porter le nom Fahradi. Pour faire vivre une double culture, une double identité française et iranienne. Avec Édouard, le seul à connaître le sens de Yalda. Yalda « naissance » est aussi le nom d’une fête iranienne, celle de la naissance du dieu soleil !
Animée par Claire Chazal, la table ronde réunit Chirinne Arkadani, avocate, présidente de l’Association Iran Justice, Mariam Pirzadeh journaliste, reporter en Iran jusqu’en 2019 et Aïla Navidi l’auteure de la pièce.
Toutes trois reviennent sur la douleur de l’exil, sur la souffrance d’un non retour qui se prolonge. Elles insistent sur la valeur de l’engagement, voire du militantisme pour dépasser la nostalgie d’un Iran fantasmé. Elles sont très reconnaissantes à la France pour l’accueil de leurs parents. Le sort de Narges Mohammadi, Prix Nobel de la Paix 2023» a été abordé. Elle est toujours à l’isolement à la prison d’Evin, mais son rayonnement demeure intact et elle pourrait avoir un rôle politique important dans l’avenir.
La répression du mouvement a été féroce : 20 000 arrestations, 830 exécutions capitales en 2023». Le non port du voile peut être puni de dix ans de prisons. S’il n’y a plus de manifestations de masse, il persiste des gestes de désobéissance civile, une opposition souterraine. Le pouvoir islamique a perdu sa légitimité comme l’atteste la très faible participation aux élections récentes.
Alors oui, l’espoir demeure, mais probablement à long terme seulement.
Visuel(c): par Dimitri Klockenbring
4211 km: Studio Marigny, Carré Marigny 75008 Paris
Du 10 Janvier au 14 Avril 2024
Du mercredi au samedi à 20h30; Samedi et dimanche à 16h