Le festival Furies a pris place dans les rues et les parcs de Châlons-en-Champagne du 3 au 8 juin. Programmation qualitative et ambiance conviviale, dont le spectacle 2 soleils du collectif Zul 2222, du clown poétique pour spectateurice lève-tôt..
Les lève-tôt se réjouissent d’assister à 2 soleils du collectif Zul 2222, puisque la représentation débute précisément à l’aube. Pour les autres… quelques regards embrumés en disent long sur le courage qui leur a été nécessaire pour se trouver au rendez-vous sur la pelouse.
La nuit n’est déjà plus noire depuis longtemps quand Jérôme Bouvet, splendide en clown dépenaillé, serpillère vissée sur la tête, apparaît dans le parc du Petit Jard, armé de sa seule présence, et de sa gouaille de vieux routard du spectacle. Mais quelle gouaille ! Dans un rôle de clochard céleste au sabir approximatif, mais délicieusement poétique, il fait par la parole la jonction entre la terre et le firmament, entre les taupes et les nuages, sous les frondaisons de Gros Tronc, son arbre fétiche, entouré des pépiements des oiseaux qui s’éveillent. Pour “annoncer la grande pétarade d’amour”, pour partager un peu de joie et de sagesse, pour rendre la suite de la journée plus légère, qui peut prétendre discerner ses motivations ?
Le temps d’un aller-retour entre deux stations immobiles, il embarque le public à l’aventure dans un voyage qui connecte au monde autant qu’à soi-même. Il n’hésite pas à rendre les spectateurices complices, sans doute parce qu’il les aime profondément : “J’te regarde me regarder, et je me sens comme une épine qu’à pas envie de piquer”, susurre-t-il à l’un⸱e d’entre elleux. A quoi riment toutes ces élucubrations inspirées, dopées à la métaphore ? Peut-être bien, tout simplement, à s’éveiller, puisque, comme il dit, “On a les deux pieds posés sur une étoile, et ça, faudrait voir arrêter de s’en foutre”.
La proposition tient toute entière sur les épaules de Jérôme Bouvet, son énergie, l’intensité de son incarnation. Et, malgré le brouillard matinal qui laisse les esprits un peu cotonneux, ou peut-être au contraire grâce à lui, ça passe, et très bien. Une modeste scénographie, éphémèrement implantée dans le parc, habille sa petite promenade, mais ce qui compte, c’est sa connexion au moment et au public, et sa capacité à ne pas perdre le fil de son texte et de sa grammaire réinventée, même alors qu’il digresse allègrement quand un⸱e spectateurice lui en donne l’occasion. Déjà un joli tour de force, qui ne fera que gagner en aisance et en folie à mesure qu’il prendra l’habitude de se glisser dans la peau du personnage.
Visuel © Philippe Cibille